Porteurs d'eau et scieurs de bois dans leur propre pays! Voila l'image peu flatteuse que beaucoup de Canadiens, et pas seulement au Québec, se font d'eux-mêmes.

Porteurs d'eau et scieurs de bois dans leur propre pays! Voila l'image peu flatteuse que beaucoup de Canadiens, et pas seulement au Québec, se font d'eux-mêmes.

Une opinion largement répandue veut en effet que le Canada se contente d'exporter ses abondantes ressources naturelles sans se donner la peine de les transformer sur place.

Cette impression n'est certainement plus fondée aujourd'hui.

Dans une étude remarquable parue dans la dernière livraison de L'Observateur économique canadien, une publication spécialisée de Statistique Canada, l'économiste Philip Cross montre à quel point, en 2007, l'image du porteur d'eau et du scieur de bois tient davantage du folklore que de la réalité.

L'auteur base son analyse sur la valeur des exportations dans le secteur des ressources.

Depuis cinq ans, écrit-il, le Canada a appris à redécouvrir et à redéployer son secteur des ressources. Cette évolution est en grande partie liée à l'explosion des prix du pétrole et du gaz naturel, qui a propulsé les exportations énergétiques à des niveaux sans précédent.

En 2007, les produits énergétiques arrivent au premier rang des exportations canadiennes, contre une quatrième place il y a seulement cinq ans. Comme on s'en doute, les exportations de pétrole brut ont doublé, principalement à cause de l'exploitation des sables bitumineux.

Quant aux exportations de pétrole raffiné, elles ont bondi de 63%, ce qui est quand même remarquable; l'auteur note à ce sujet que ce chiffre aurait pu être encore plus élevé si le Canada avait plus de raffineries et d'usines de traitement pour assurer la transformation au pays.

Dans le secteur des métaux et minéraux, on a également assisté à des hausses qui ont porté les prix du nickel, du cuivre, du zinc et du fer à des niveaux records.

Ici, M. Cross déboulonne une fable largement répandue, voulant que le Canada exporte une trop grande partie de ses minerais métalliques, sans transformation. Les produits finis ou semi-finis d'alliages métalliques, rappelle-t-il, représentent 40 milliards d'exportations, contre seulement 11 milliards pour les minerais destinés à la fonte et à l'affinage.

Ce n'est pas tout: le Canada importe pour 10 milliards de minerais qu'il affine et transforme ici avant de les exporter.

L'énergie et les mines ne sont pas les seules à avoir profité de ce que M. Cross appelle le «supercycle des produits de base».

L'agriculture et la pêche ont également vu leurs exportations monter en flèche.

Dans le cas de la pêche, cela peut sembler surprenant. La surpêche a décimé les stocks de poissons.

Au début des années 90, un moratoire a même été imposé sur la pêche à la morue, ce qui a entraîné une chute de 22% des exportations de poisson frais au cours des quatre années suivantes.

Pourtant, depuis 1990, les exportations de poisson sont passées du simple au double. Comment cela se fait-il?

C'est que l'industrie de la pêche s'est adaptée: elle a remplacé le poisson par des crustacés (crabes, homards, crevettes) et par des mollusques (pétoncles, notamment), dont les prix sont supérieurs à ceux des poissons.

La transformation du secteur agricole canadien est encore plus spectaculaire. Elle concerne essentiellement les producteurs de blé. Blé, disons-nous?

Encore du folklore, ou presque... S'il est un cliché auquel on associe volontiers le Canada, c'est bien celui des immenses cultures de blé des Prairies. Cette image correspond de moins en moins à la réalité.

En 2005, le prix du boisseau de blé a atteint un sommet; pourtant, les exportations de blé n'atteignaient que quatre milliards, contre cinq milliards 15 ans plus tôt. Comment cela se peut-il?

C'est que le Canada produit de moins en moins de blé. Partout dans le monde industrialisé, les consommateurs délaissent les huiles hydrogénées au profit de l'huile de canola.

Les producteurs des Prairies se sont ajustés en conséquence, d'autant plus que le canola est plus payant que le blé. Contrairement au blé, exporté tel quel, le canola est transformé en huile localement.

Aujourd'hui, les exportations de produits du canola disputent au blé le titre de premier produit agricole d'exportation.

Les progressions observées dans les secteurs de l'énergie, des mines, de la pêche et de l'agriculture se sont faites notamment au détriment des produits de la forêt.

En 1998, il n'y a pas si longtemps, ces produits représentaient 18% des exportations et arrivaient en tête de liste des exportations des ressources, devant les métaux, l'énergie et l'agriculture. Cette proportion n'est plus aujourd'hui que de 6,5%.

«Des industries comme celles des métaux et du canola sont des chefs de file pour ce qui est de la valeur ajoutée ici au Canada, conclut M. Cross. Plutôt que de l'exportation des ressources brutes qui seront traitées à l'étranger».

Cela nous amène bien loin, en effet, des scieurs de bois et des porteurs d'eau...