En 1835, lorsque le naturaliste anglais Charles Darwin visita l'archipel des Galapagos, perdu dans le Pacifique à près de 1000 kilomètres des côtes de l'Équateur, il fit une découverte stupéfiante: coupée du reste du monde pendant des siècles, la faune des Galapagos comprenait de nombreuses espèces totalement inconnues ailleurs. À partir de là, Darwin allait édifier sa célèbre théorie de l'évolution.

En 1835, lorsque le naturaliste anglais Charles Darwin visita l'archipel des Galapagos, perdu dans le Pacifique à près de 1000 kilomètres des côtes de l'Équateur, il fit une découverte stupéfiante: coupée du reste du monde pendant des siècles, la faune des Galapagos comprenait de nombreuses espèces totalement inconnues ailleurs. À partir de là, Darwin allait édifier sa célèbre théorie de l'évolution.

En 2008, l'économiste britannique Peter Cooke, professeur en gestion des entreprises spécialisé dans le secteur automobile à l'Université de Buckingham, parle du «syndrome des Galapagos» pour décrire ce qui arrive aux trois grands de l'automobile. Ils n'ont pas évolué au même rythme que le reste du monde.

On peut certainement se demander s'il est pertinent, pour le gouvernement américain endetté jusqu'au cou et qui traîne un déficit d'une ampleur sans précédent, d'utiliser l'argent des contribuables pour aider l'industrie automobile à se sortir du trou. Après tout, voilà une industrie qui a multiplié les erreurs de jugement et les décisions irresponsables. Ses dirigeants, mais aussi ses syndicats qui ont exigé des salaires et conditions de travail largement supérieurs à ceux de leurs concurrents japonais ou européens, sont en fin de compte responsables de leurs propres malheurs. Qu'ils se débrouillent!

Les choses ne sont pas aussi simples.

Vrai, GM, Ford et Chrysler doivent assumer une large part du blâme. Mais elles ne sont pas les seules responsables.

Jusqu'au début des années 80, les trois grands détenaient bon an mal an 85% du marché américain de l'automobile. Ils ont même connu un pic de 93% en 1953. Cela ne laissait pas beaucoup de place à l'importation.

Vingt ans plus tard, la concurrence japonaise a radicalement modifié le portrait, à un point tel qu'il serait plus exact, aujourd'hui, de parler de GM, Ford et Chrysler comme des «trois moyens». Sur le marché américain, le premier vendeur de voitures neuves est maintenant Toyota, suivi de GM, Ford, Honda et Chrysler en cinquième place.

Ce qui s'est passé? Les Japonais ont été capables d'offrir de meilleures voitures à meilleur prix, c'est aussi simple que cela.

Certes, l'industrie automobile américaine a été capable de tenir le coup pendant un certain temps. Encore au milieu des années 90, GM annonçait des profits substantiels, et son action en Bourse atteignait un sommet de 94$ en 1995 (elle en vaut à peine 4$ aujourd'hui).

L'effondrement est survenu quand les automobilistes ont demandé des voitures de moins en moins énergivores. Les trois grands ont été extrêmement lents à comprendre cela.

La crise financière, en limitant l'accès au crédit, a porté un coup fatal à GM et Chrysler. Ford s'en tire un peu mieux, mais par la peau des fesses.

Et encore, les constructeurs américains ont pu se compter chanceux de ne pas avoir à trop subir la concurrence européenne. Récemment, à Paris, j'ai loué une Renault Clio. Encore plus récemment, à Las Vegas, j'ai loué une Chevrolet Cobalt. Deux petites cylindrées. Or, la Clio consommait presque trois fois, j'ai bien écrit trois fois, moins d'essence que la Cobalt!

En dépit de leurs erreurs, les trois grands ne sont pas les seuls coupables.

Le syndrome des Galapagos n'a pas été provoqué par l'industrie automobile américaine. Elle en est davantage la victime.

Comme la faune des Galapagos, nous explique le professeur Cooke, les constructeurs américains ont prospéré parce qu'ils étaient enfermés dans une sorte de bulle, isolés du reste du monde. Cet isolationnisme repose sur plusieurs facteurs. La géographie, la taille énorme du marché, mais aussi l'essence à bas prix, les taxes relativement basses, une clientèle peu exposée à la concurrence et peu exigeante. Ainsi protégés, ils n'ont pas eu à faire d'efforts pour développer des produits moins énergivores et techniquement plus avancés. Les innovations sont venues d'Europe et du Japon.

Il est facile, aujourd'hui, de reprocher aux constructeurs de ne pas avoir su s'adapter, ce qui est vrai, mais il faut se rappeler qu'ils évoluaient dans un environnement pas très propice pour cela.

Toujours est-il qu'en cette fin de 2008, nous en sommes rendus là: deux des trois grands sont insolvables, et le troisième est à peine en meilleure posture. La faillite de GM et Chrysler, qui entraînerait inévitablement Ford dans la tourmente, signifierait la perte de centaines de milliers d'emplois. Certes, les gens auront toujours besoin de voitures et de service après-vente, et on peut certainement penser qu'avec le temps, une bonne partie des emplois perdus seront récupérés par les constructeurs japonais et leurs concessionnaires. Mais en attendant, le choc serait terrible. Surtout, dans une économie en crise, il porterait au coup épouvantable au moral déjà passablement amoché des Américains. Dans ces conditions, une aide financière assortie de sévères conditions apparaît comme la moins pire des solutions.