Isolée du reste du monde, l'Australie a aussi des soucis économiques bien particuliers ces temps-ci.

Isolée du reste du monde, l'Australie a aussi des soucis économiques bien particuliers ces temps-ci.

Pendant que les taux d'intérêt baissent en Amérique, la banque centrale «aussie» vient de hausser les siens pour la 12e fois d'affilée afin de refroidir une conjoncture surchauffée.

«Down under», on en est presque rendu à se réjouir du ralentissement de l'économie mondiale.

Neuf pour cent!

C'est le taux que la banque ANZ et la plupart des institutions financières australiennes exigent ce matin pour une hypothèque à taux variable.

Les propriétaires montréalais, qui doivent renouveler leur prêt ces jours-ci (à un taux variable d'environ 5%), peuvent donc se consoler même si on envie ces Australiens qui se font dorer actuellement sous un chaud soleil d'été.

À Sydney, on estime cependant que ça chauffe un peu trop. Selon un reportage de la BBC britannique, des milliers de propriétaires en sont rendus à réduire leur budget d'alimentation pour respecter leurs engagements hypothécaires.

D'ailleurs, quelque 300 000 Australiens pourraient perdre leur maison, aux mains de la banque, si les taux d'intérêt continuent de monter, prévient une association nationale de consommateurs. Au pays des kangourous, peu de gens sautent de joie dans leur salon ces temps-ci.

Bon nombre d'«Aussies» en veulent surtout à la Banque centrale d'Australie qui a haussé, la semaine dernière, son taux directeur de 0,25% à 7,25%. Un 12e tour de vis depuis 2002. Et le deuxième en un seul mois!

Pour saisir l'impact du coût du crédit en Australie, rappelons que le taux directeur de la Banque du Canada vient de baisser à 3,50%.

Inondant le monde de ses matières premières (charbon, minerai de fer, métaux précieux...), l'Australie ne semble pas affectée, pour l'instant, par le tassement de l'activité mondiale et la crise du crédit.

Surchauffe et dérapage

C'est ce qui s'appelle nager à contre-courant. Même si on compare souvent l'Australie et le Canada au plan économique, en raison de leurs ressources naturelles abondantes, la singularité australienne apparaît au grand jour: au lieu de la crise américaine du crédit, ce sont d'abord la surchauffe économique et le dérapage des prix qui inquiètent les autorités monétaires.

L'inflation a atteint 3,8% en Australie au cours du dernier trimestre de l'année dernière, ce qui est nettement au-dessus de la limite des 3% fixée par la banque centrale.

Rien d'étonnant à cette envolée des prix: l'économie vient d'enchaîner 17 années de croissance ininterrompue (3,9% en rythme annuel au quatrième trimestre 2007). Inondant le monde - surtout la Chine et l'Inde - de ses innombrables matières premières, la machine tourne à plein régime.

La proximité des marchés asiatiques a donc des effets pervers: le chômage australien est au plus bas, les salaires s'envolent et les entreprises se retrouvent face à des goulots d'étranglement pour embaucher. Le pays doit importer chaque année des cerveaux et des bras du monde entier.

Les autorités australiennes viennent d'ailleurs d'assouplir leur politique d'immigration pour permettre l'arrivée d'un plus grand nombre d'ouvriers qualifiés. Le nouveau gouvernement travailliste de Kevin Rudd a ainsi porté à 108 500 le nombre de visas de travail disponibles pour 2007-2008, soit 6000 de plus que prévu.

Trop loin, trop vite

Les Australiens ont la réputation d'être «faits forts», comme leurs robustes joueurs de rugby. Mais on peut se demander combien de temps le consommateur pourra résister.

Certains croient que la banque centrale est allée trop loin avec le resserrement du crédit dans la mesure où l'économie mondiale ralentit sérieusement.

«La question est de savoir si la demande domestique va tenir le coup devant la hausse des taux», se demande David de Garis, économiste à la National Australia Bank, en entrevue avec l'agence Bloomberg.

Les signes de décrochage commencent d'ailleurs à apparaître. Les ventes au détail en Australie sont demeurées inchangées en janvier.

Plus significatifs, les ventes d'appareils ménagers - téléviseurs, lessiveuses et autres produits coûteux - ont baissé de 0,5%. La construction et la confiance des ménages sont aussi en recul.

Les experts craignent surtout un dérapage car l'économie australienne, à l'image du secteur des ressources naturelles, nous a habitués à des virages brusques par le passé.

Manier les taux d'intérêt, préviennent les banques australiennes, c'est un peu comme balancer un long couteau tranchant. Il faut savoir s'en servir, sinon gare aux blessures graves.

L'Australie est donc devant un beau dilemme. Des taux d'intérêt trop élevés, trop longtemps, pourraient être désastreux pour l'économie. En même temps, une inflation hors de contrôle nécessiterait des années de traitement pour soigner le patient.