Alan Greenspan débarque en ville. L'ex-président de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis, échangera pendant une heure demain avec Sherry Cooper, économiste en chef du courtier BMO Marché des capitaux, devant un parterre d'invités au Palais des congrès.

Alan Greenspan débarque en ville. L'ex-président de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis, échangera pendant une heure demain avec Sherry Cooper, économiste en chef du courtier BMO Marché des capitaux, devant un parterre d'invités au Palais des congrès.

Que Greenspan vienne à Montréal demain, pour le quatrième de ses talk-shows canadiens après Vancouver, Toronto et Calgary, ne manque pas d'ironie. Cette semaine, c'est la parade des grandes banques canadiennes qui dévoilent à tour de rôle leurs derniers résultats financiers.

Or, nos banques, qui augmentent leurs provisions pour prêts délinquants (sans parler de celles déjà prises en relation avec le papier commercial), sont à réparer les pots cassés à la suite du ralentissement de l'économie nord-américaine provoqué par la crise immobilière aux États-Unis. À la base de cette crise se trouvent les fameuses hypothèques à haut risque, le subprime si vous préférez.

Les détracteurs d'Alan Greenspan - et ils sont de plus en plus nombreux depuis que l'économiste a quitté la «Fed» en janvier 2006 après plus de 18 ans à sa présidence - considèrent que l'ancien gourou des États-Unis a fermé les yeux sur ces dérapages immobiliers.

Or, c'est la Fed qui est censée superviser les banques et faire appliquer les lois de protection des consommateurs, notamment le Home Ownership and Equity Protection Act.

En rendant les clefs des maisons qu'ils n'avaient pas les moyens de s'acheter, les Américains ont fragilisé un système financier vénal qui reposait précairement sur une hausse continue des prix des maisons, insoutenable à long terme. La suite est connue: le château de cartes s'est écroulé.

Même s'il répugnait à intervenir dans l'économie, Alan Greenspan aurait dû sonner la fin de la récré et jouer son rôle de surveillant plus sérieusement, jugent ses pourfendeurs.

Lors de conférences comme celle qu'il prononcera demain à Montréal, Alan Greenspan reçoit des cachets dans les six chiffres, rapporte le Wall Street Journal. Et le «Maestro» travaille encore comme consultant pour de grands clients comme la Deutsche Bank, la plus grande banque d'Allemagne.

Clairement, toutefois, ce n'est pas l'argent qui motive cet homme de 82 ans que des professeurs de Princeton ont rapidement consacré en 2005 comme le plus grand banquier de tous les temps. Alan Greenspan est aujourd'hui en mission pour sauver sa réputation.

À lire le pamphlet de William Fleckenstein, Greenspan's Bubbles: The Age of Ignorance at the Federal Reserve, le banquier a fort à faire.

Dans ce livre décapant de 194 pages paru en début d'année, ce gestionnaire de fonds de Seattle examine toutes les décisions de la Fed sous Greenspan à la lumière des transcriptions des réunions du comité de politique monétaire et des témoignages du banquier devant le Congrès.

Alan Greenspan a toujours été préoccupé par la réaction du marché boursier, alors qu'il n'avait pas à s'en soucier, conclut William Fleckenstein. Dans l'ensemble, il était très prompt à abaisser les taux d'intérêt, surtout entre 2001 et 2003, mais très récalcitrant à les relever.

À la fin des années 90, les Américains en étaient ainsi venus à croire qu'il n'y avait plus aucun risque dans le marché des actions. Mais, alors que la Bourse américaine voguait de sommet en sommet depuis 1995, Alan Greenspan est resté aveugle à la bulle boursière qui se développait, selon William Fleckenstein.

Même lorsque la spéculation s'est déchaînée, fin 1999, début 2000, et que le ratio cours/bénéfice moyen du NASDAQ frisait le 200, Greenspan refusait de croire que les titres étaient surévalués.

À ses yeux, l'emploi des technologies de l'information par les entreprises dopait la productivité, même si on avait du mal à mesurer le phénomène. De la même façon, Alan Greenspan jugeait que l'inflation aux États-Unis était surestimée.

«Greenspan trouvait toujours le moyen de rationaliser des comportements déments», juge l'auteur.

Puis est arrivé le krach des technos, suivi par les attentats terroristes du 11 septembre 2001 qui ont asséné le coup de grâce.

Pour se justifier, Alan Greenspan a longtemps affirmé qu'il était difficile, voire impossible de détecter les bulles spéculatives avant qu'elles n'éclatent. (Ensuite, il corrigera le tir en disant que ces bulles sont difficiles à crever même en relevant les taux d'intérêt.) Pourtant, son prédécesseur à la tête de la Fed, Paul Volcker, avait publiquement sonné l'alarme dès 1999.

Après le krach des technos, Alan Greenspan abaissera le taux directeur jusqu'à 1%. C'est ce qui a donné naissance à la bulle immobilière aux États-Unis. Avec les prix des maisons qui explosaient, les Américains se sont servis de leur ligne de crédit hypothécaire comme d'une carte de guichet automatique. C'est ce qui a financé la surconsommation des Américains de 2003 à 2007.

«Pour sortir d'affaires les États-Unis, qui vivaient la plus grande bulle boursière de leur histoire, Greenspan a conduit le pays vers une immense bulle immobilière. La conjugaison de ces deux bulles a donné lieu à la plus grande orgie de spéculation et d'endettement de l'histoire des États-Unis», résume William Fleckenstein. Aujourd'hui, poursuit-il, c'est le dollar américain qui en paie le prix.

C'est ce jugement de l'histoire récente qu'Alan Greenspan tentera d'infléchir demain à Montréal.