De nombreuses études ont établi que le vieillissement de la population aura un impact considérable sur le marché du travail.

De nombreuses études ont établi que le vieillissement de la population aura un impact considérable sur le marché du travail.

Or, voici qu'un nouveau document publié par une équipe de chercheurs de Statistique Canada, sous la direction du démographe Laurent Martel, vient jeter un éclairage inédit et quelque peu terrifiant sur ce qui risque d'arriver au pays d'ici les 25 prochaines années.

Le résultat de ces travaux vient de paraître dans L'Observateur économique canadien, une publication spécialisée de l'agence fédérale de statistique1.

Les auteurs se sont intéressés à la mesure de l'évolution du taux d'activité, au Canada et dans chaque province, d'ici 2031.

Au premier coup d'oeil, tout cela peut sembler assez rébarbatif. Pourtant, cette démarche montre à quel point la chute inéluctable du taux d'activité, au Canada, pose une menace sur le potentiel de croissance de l'économie canadienne, sur les revenus des administrations publiques et donc des programmes sociaux, et sur la santé des régimes de retraite.

En ce sens, cette étude spéciale de Statistique Canada constitue certainement une contribution majeure.

Chaque mois, lorsque sont publiées les données de l'enquête sur la population active, c'est le taux de chômage qui retient le plus l'attention des médias, et c'est un peu normal: voilà une mesure facile à comprendre et à interpréter.

Mais le taux de chômage n'est pas le meilleur indicateur de la santé de l'économie. Il se peut même que le taux de chômage descende, et que cela constitue une mauvaise nouvelle (une baisse du taux de chômage, par exemple, peut camoufler des milliers de chômeurs découragés qui cessent de chercher un emploi pour aller grossir les rangs des assistés sociaux).

Ce qui intéresse davantage les spécialistes, c'est le taux d'activité, c'est-à-dire l'ensemble de la population âgée de 15 ans et plus qui travaille ou qui recherche activement un emploi. Le taux d'activité reflète la vitalité du marché du travail. Plus il est élevé, mieux c'est.

On considère qu'un taux d'activité de 67% dénote une économie dynamique et capable de créer des emplois pour tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail.

L'étude rappelle qu'en 2005, le taux d'activité se situait à 66,8% au Canada. On observe cependant d'importantes variantes régionales: 72,3% en Alberta comparativement à 58,3% à Terre-Neuve. Le Québec, avec 64,9%, accuse un léger retard sur la moyenne canadienne.

Voici le pire: selon les projections de l'étude, le taux d'activité pourrait plonger à 57,6% au Canada d'ici 2031. Au Québec, il pourrait descendre à 54,8%, une proportion qu'on retrouve dans certains pays en développement. Même la riche Alberta n'échappera pas au massacre, avec un taux médiocre de 62,7%.

Ces données sont dramatiques. Un taux d'activité anémique signifie moins de contribuables pour payer des impôts, moins de cotisants aux régimes de retraite, un recul de la production et du niveau de vie de tout le monde.

Évidemment, personne ne possède de boule de cristal infaillible, et les projections à long terme valent ce qu'elles valent. C'est pour cela que les auteurs ont élaboré différents scénarios, à partir d'indicateurs démographiques comme le taux de fécondité, l'espérance de vie à la naissance et le taux d'immigration.

Les chiffres que nous venons de voir sont ceux du scénario le plus pessimiste, qui prévoit une faible croissance démographique d'ici 2031.

Et voici le pire: même en utilisant les hypothèses les plus roses, celles qui prévoient une forte croissance démographique, le taux d'activité continuera de reculer. Selon le scénario le plus optimiste, il se situera à 59,7% au Québec, par rapport à une moyenne canadienne de 62,0%.

Dans ces conditions, les auteurs sont formels: les politiques natalistes ou favorables à l'immigration ne changeront pas grand-chose à court et à moyen terme.

Le Canada est «inéluctablement» condamné à subir une baisse de son taux d'activité, essentiellement attribuable à la faible fécondité et au vieillissement de la population. Ce vieillissement, soulignent les auteurs, sera «exacerbé dans les années à venir par l'arrivée à la retraite des boomers».

Heureusement, tout n'est pas que noir.

Les travailleurs de 55 ans et plus ont tendance à rester plus longtemps sur le marché du travail. Le plus récentes données de l'Institut de la statistique du Québec, par exemple, montre qu'entre 1998 et 2006, au Québec, la population active a augmenté de 13%.

Chez les 55 ans et plus, la hausse a été de 65%. Tout indique que la tendance se poursuivra et, plus probablement, qu'elle va s'accélérer, pour englober aussi les 65 ans et plus. Beaucoup de travailleurs âgés sont en meilleure forme physique et intellectuelle que ceux qui les ont précédés; ils ont le goût de continuer et les employeurs sont plus nombreux à apprécier leur expérience et leurs connaissances.

Ce phénomène, reconnaissent les auteurs, n'empêchera pas la chute du taux d'activité (inéluctable de toute façon, comme on vient de le voir), mais pourrait au moins la ralentir de quelques années. Le Canada pourrait profiter de ce délai pour mieux se préparer au choc.

D'autre part, les projections ne tiennent pas compte d'éventuels gains de productivité. La baisse du taux d'activité entraîne une baisse du produit intérieur brut (PIB) par habitant, et donc du niveau de vie; les gains de productivité ont l'effet contraire.

En augmentant sa productivité (définie comme étant la valeur de la production divisée par le nombre d'heures travaillées, et non pas comme une simple augmentation des heures travaillées, comme on le croit parfois), le Canada pourrait effectivement compenser le recul du taux d'activité et tenter de maintenir son niveau de vie.

Disons-le, ce sera tout un contrat: tous les indicateurs montrent que la productivité du Canada demeure faible, notamment par rapport à celle des États-Unis, son principal concurrent. Il faudra donc mettre les bouchées doubles, bien avant 2031.

Enfin, un prix de consolation: le Canada ne sera pas seul à subir une baisse du taux d'activité. Les auteurs citent aussi des études réalisées en Allemagne et aux États-Unis, et qui arrivent aux mêmes conclusions.

On peut aussi penser que ce sera le cas au Japon et dans plusieurs pays européens. Mince soulagement...

1: Pour un accès direct et gratuit au document, taper www.statcan.ca/francais/freepub/11-010-XIB/00 607/feature_f.htm

À 64,9 %, le taux d'activité du Québec est tout juste passable. D'ici 2031, il pourrait chuter à 54,7 %!

La baisse du taux d'activité au Canada est inéluctable, et entraînera des perturbations majeures.