À Paris, Londres et New York, les milieux financiers ont beaucoup parlé ces derniers jours des rumeurs voulant que le conglomérat indien Reliance Industries cherche à entrer au capital du français Carrefour, le deuxième détaillant au monde après l'américain Wal-Mart.

À Paris, Londres et New York, les milieux financiers ont beaucoup parlé ces derniers jours des rumeurs voulant que le conglomérat indien Reliance Industries cherche à entrer au capital du français Carrefour, le deuxième détaillant au monde après l'américain Wal-Mart.

Pour le moment, Reliance ne convoiterait qu'une participation minoritaire dans Carrefour, selon des sources.

Mais plusieurs voient dans ces avances un premier pas vers une éventuelle prise de contrôle par Reliance, un colosse aux activités multiples (pétrole, produits chimiques, textiles, commerce, etc.) dont la valeur représente plus de 6 % de la Bourse indienne.

Démenties par Carrefour, ces spéculations viennent néanmoins confirmer une chose: le monde industrialisé prend désormais très au sérieux les « raiders » indiens. Et pour cause.

Pour la première fois de l'histoire, « India Inc. » est en voie de passer officiellement en mode offensif.

Selon une nouvelle étude de l'ASSOCHAM, un regroupement des chambres de commerce de l'Inde, les investissements à l'international des sociétés locales surpasseront, en 2007, les sommes injectées par les compagnies étrangères au pays. Du jamais vu.

Les entreprises du «Bombay Club» injecteront quelque 15 milliards US dans les compagnies étrangères, contre des «entrées» directes de 12 milliards US sur le territoire indien.

Et pourtant, il y a six ou sept ans, personne n'aurait parié une roupie sur les chances de l'Inde dans l'arène internationale. En 2000, les acquisitions indiennes à l'étranger représentaient à peine 1 milliard US. Mais en 2005, elles atteignaient déjà 4,5 milliards US et elles ont frôlé les 11 milliards US l'an dernier.

Le secteur privé indien, qui dépendait encore récemment du capital étranger pour assurer sa croissance, est passé de proie à prédateur en un rien de temps.

Des raids

Depuis le raid de l'aciériste Mittal Steel (1) sur l'européen Arcelor (en 2006), ou celui de Tata Steel sur le sidérurgiste britannique Corus (janvier 2007), l'Occident encore étourdi assiste aux assauts répétés des conquérants indiens.

Pas une semaine ne passe sans qu'un mastodonte indien ne mette sa grosse patte sur un groupe étranger.

Dix jours après le coup d'éclat de Tata sur Corus – une transaction de 13,7 milliards US – le producteur indien d'aluminium Hindalco a acheté pour 6 milliards US son rival américain Novelis, un fabricant de tôles d'aluminium émanant de la montréalaise Alcan.

De plus, l'indien Suzlon Energy, un fabricant d'éoliennes, vient de faire, à la surprise générale, une offre de 1,3 milliard US pour l'allemand REpower.

Et on peut citer au passage l'acquisition probable de la division des plastiques de General Electric par Reliance. Ou cette tentative du groupe pharmaceutique Ranbaxy d'acheter une part de l'allemand Merck KgaA, avant que l'Indien ne désiste mercredi dernier.

Ce n'est pas fini

Or, tout indique que l'offensive n'est pas finie parce que l'industrie indienne a la voie libre et des moyens considérables.

Jusqu'en 1991, les entreprises indiennes n'étaient pas autorisées à se développer librement à l'étranger. Mais, en 2004, le gouvernement a assoupli les règles d'investissement outre-frontière. Si bien que les sociétés locales peuvent investir jusqu'à 200 % de leur valeur hors du pays sans l'accord préalable de l'État.

Et l'argent ne manque pas. L'économie indienne progresse à un rythme effréné (plus de 9 % par année), alimentant au passage les coffres des compagnies locales. Sans oublier que les fonds privés internationaux continuent d'investir massivement dans les sociétés indiennes qui, de surcroît, profitent de la poussée boursière (donc de la valeur élevée de leurs actions) pour financer leurs transactions.

Avec le recul, on réalise que la charge a probablement été sonnée en 2000. Tata Tea, une société de Calcutta membre du conglomérat Tata, a alors étonné le monde entier en avalant son rival britannique Tetley Tea pour quelque 400 millions US – un record à l'époque.

C'était un tournant historique... et passablement ironique. Car le colonisé venait de prendre sa revanche sur le colonisateur.

(1) Officiellement, Mittal Steel n'est pas une société indienne mais anglo-néerlandaise (son siège social est à Rotterdam, au Pays-Bas). Il reste que son fondateur (Lakshmi Mittal) et ses activités ont des racines profondes en Inde.