André est courtier pour une grande maison de courtage. Il est scandalisé de voir qu'aucun investisseur institutionnel parmi les maisons de courtage, les fonds communs de placement et les caisses de retraite ne prennent la défense des porteurs des obligations de Bell Canada.

André est courtier pour une grande maison de courtage. Il est scandalisé de voir qu'aucun investisseur institutionnel parmi les maisons de courtage, les fonds communs de placement et les caisses de retraite ne prennent la défense des porteurs des obligations de Bell Canada.

Ces dernières ont chuté d'environ 20% depuis mars dernier, moment où la course à l'acquisition de BCE [[|ticker sym='T.BCE'|]] s'est enclenchée.

«Pour rassurer les clients, on leur dit que les obligations des grandes compagnies comme Bell Canada c'est sécuritaire. En tout cas beaucoup plus que les actions des mêmes grandes sociétés. Puis un beau jour, tu te retrouves devant un phénomène inusité : les actions de la compagnie, comme dans le cas de BCE, grimpe de 40% et les obligations de la même compagnie s'effondrent pendant ce temps-là de 20 à 30%.»

C'est le monde à l'envers. Les investisseurs qui jouaient de prudence avec les obligations de Bell Canada se font finalement piéger dans une sorte de krach obligataire alors que les porteurs d'actions s'enrichissent de 40%.

Si les actions de BCE ont tant grimpé c'est en raison évidemment de l'offre de 42,75 $ que vient de faire le consortium dirigé par Teachers, la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario, pour fermer le capital de la plus grande compagnie de télécommunications au Canada.

Paradoxalement, si les obligations de Bell Canada échéant après août 2010 ont continué de baisser depuis le week-end dernier... c'est à cause également du consortium de Teachers.

La caisse de retraite ontarienne et ses partenaires américains ne veulent pas que BCE rachète ces obligations avant leur échéance. Cette décision a eu un effet négatif sur la valeur marchande desdites obligations en circulation. Le marché obligataire anticipe d'ailleurs une révision à la baisse de la cote de crédit de ces obligations de Bell Canada.

Les détenteurs des obligations de Bell Canada en circulation se retrouvent actuellement coincés. D'un côté, le prix offert est trop faible. La valeur a tellement baissé, qu'il est trop tard pour vendre.

D'autre part, la valeur de ces obligations a peu de chance de remonter à court terme. La raison ? La décote des obligations risque de forcer les grandes institutions financières à s'en départir. Ce qui amplifierait le mouvement à la baisse... Donc non seulement, on se retrouve avec des vendeurs forcés, mais en plus on se retrouve avec une pénurie d'acheteurs !

Par ailleurs, si les maisons de courtage ne rouspètent pas contre BCE et le consortium dirigé par Teachers... à propos de l'effondrement des obligations de Bell Canada c'est parce qu'elles vont de toute façon récolter une petite fortune en commissions à la suite du rachat des actions de BCE.

Comme il est question de grosses piastres, les maisons de courtage ne veulent évidemment pas se mettre à dos BCE et Teachers, renchérit notre courtier mécontent. Les fonds et les caisses de retraite qui détiennent des actions de BCE ne disent évidemment pas un mot puisqu'ils vont faire la passe avec l'augmentation subie de 40% du prix des actions.

La Caisse en exemple

Par ailleurs, si les courtiers se cherchent des arguments pour tempérer la frustration des clients à qui ils ont vendu des obligations de Bell Canada au lieu des actions, je les invite à se servir de la Caisse de dépôt et de placement comme exemple.

Le 31 décembre 2002, la Caisse détenait dans son gigantesque portefeuille 15 417 874 actions de BCE, pour une valeur globale de 439 millions de dollars.

Lors de son dernier relevé de portefeuille, le 31 décembre dernier, la Caisse ne détenait plus une seule action de BCE.

Au prix actuel de l'offre de Teachers, à 42,75 $ l'action, ce bloc d'actions de la Caisse vaudrait aujourd'hui 659 millions. Ajoutons les dividendes versés depuis janvier 2003, soit 5,40 $ l'action, ce qui donnerait un montant additionnel de 83 millions.

Résumons le portrait : si la Caisse avait conservé son bloc de 15,4 millions d'actions de BCE, c'est donc une somme totale de 742 millions de dollars que BCE lui aurait rapporté. On parle donc d'un hypothétique gain de plus de 300 millions !

Cela étant dit, les gestionnaires de la Caisse ont préféré miser sur d'autres entreprises. C'est leur choix et ils sont tout de même reconnus pour bien tirer leur épingle du jeu de la Bourse.

Si la Caisse ne détenait plus une seule action de BCE le 31 décembre dernier, elle détenait par contre des obligations de Bell Canada pour une valeur marchande de 244 millions de dollars. Ainsi non seulement la Caisse a-t-elle raté le bateau de BCE mais en plus elle prend un bouillon avec les obligations de Bell Canada, si elle les a conservées.

Comme on peut le constater, même des gestionnaires aguerris comme ceux de la Caisse manquent de pif. Parfois, s'entend !