Cet après-midi (mardi), lorsque le ministre des Finances Michel Audet livrera son discours du budget, il faut s'attendre à ce qu'il insiste sur le «trou» budgétaire de 4,3 milliards hérité de l'administration péquiste en 2003.

Cet après-midi (mardi), lorsque le ministre des Finances Michel Audet livrera son discours du budget, il faut s'attendre à ce qu'il insiste sur le «trou» budgétaire de 4,3 milliards hérité de l'administration péquiste en 2003.

C'est normal: un budget, par définition, comporte un volet financier et un volet politique. Comme le dépôt du budget sera immédiatement suivi d'élections générales, le volet politique dominera largement le discours du ministre.

Les libéraux s'en vont en guerre en traînant un énorme boulet: en 2003, ils avaient promis de baisser les impôts d'un milliard par année. Cet engagement était même au coeur de leur campagne. Quatre ans plus tard, les vraies baisses d'impôts atteignent à peine le quart de l'objectif. Pour les autres partis, la porte est grande ouverte: ils ont tout le loisir de taper sur la tête de Jean Charest dans ce dossier. C'est d'ailleurs amplement commencé.

Or, les libéraux ont trouvé une parade qui ne manque pas d'intelligence.

Peu après les élections de 2003, la plupart des spécialistes en finances publiques s'entendaient pour dire que le budget déposé juste avant les élections par la ministre péquiste Pauline Marois ne tiendrait pas la route. Mme Marois, entre autres, avait clairement surestimé le taux de croissance économique, ce qui a eu pour effet de gonfler artificiellement ses prévisions de revenus. Il y avait donc un trou dans les finances publiques, mais de combien?

Une des premières décision de Jean Charest, après les élections, a été de mandater l'ex-vérificateur général, Guy Breton, pour mesurer l'ampleur du cul-de-sac financier. Le prestige et la crédibilité de M. Breton devaient garantir un travail de qualité. Moins de deux semaines plus tard, l'ex-vérificateur déposait un rapport accablant: les péquistes avaient laissé un trou de 4,3 milliards. L'ampleur du gouffre dépassait de loin les plus sombres prévisions.

Aujourd'hui, les libéraux ne manquent pas de rappeler que, sans ce trou de 4,3 milliards, ils auraient facilement pu remplir leur promesse.

Les choses ne sont pas aussi simples.

Le rapport de M. Breton ne laisse rien au hasard. Ses estimations reflètent donc ce qui pourrait se passer dans le pire des scénarios. Lorsqu'il évalue l'impasse à 4,3 milliards, il tient donc compte de tous les risques possibles. C'est correct: c'est comme cela que fonctionnent tous les vérificateurs consciencieux.

Pourtant, dès son premier budget en juin 2003, le ministre libéral Yves Séguin réussira, sans même se forcer, à colmater une grande partie de la brèche.

Il y parvient en jouant sur plusieurs tableaux:

- La ministre Marois avait mis de côté une réserve de 809 millions, en principe pour financer une éventuelle hausse des dépenses de santé. M. Séguin n'a eu qu'à prendre cette réserve pour diminuer le trou d'autant.

- Le budget préélectoral de Mme Marois annonçait toute une série de cadeaux éparpillés à gauche et à droite. Il y en avait, en tout, pour 400 millions. Son successeur a tout simplement annoncé que le saupoudrage était annulé, réduisant le trou d'un montant équivalent.

- Une autre mesure du budget Marois prévoyait des compressions de 400 millions dans les dépenses des ministères. M. Séguin n'a eu qu'à maintenir le cap.

- Enfin, les transferts fédéraux se révéleront de 300 millions plus importants que prévu.

En tenant compte de tout cela, le trou fond presque de moitié, passant de 4,3 à 2,4 milliards.

Lorsque le ministre Audet parle du déficit de 4,3 milliards hérité des péquistes, il faudra donc se rappeler qu'il s'agit d'un montant artificiellement hypertrophié.

En fait, les véritables baisses d'impôts survenues depuis quatre ans frisent tout juste le milliard. Les libéraux auraient pu faire mieux. Dans son budget de mars 2004, le ministre Séguin a introduit deux nouveaux programmes sociaux, qu'il a tenté de faire passer pour des baisses d'impôts: le paiement de soutien aux enfants et la prime au travail. Il y en avait en tout pour près de 800 millions. Les deux programmes d'adressent en grande partie à des ménages qui ne paient pas ou peu d'impôts.

Il sera sans doute tentant, cet après-midi, de considérer le budget Audet avec méfiance. Le ministre, âgé de 66 ans, a déjà annoncé qu'il ne se représenterait pas. Des élections générales vont être déclenchées rapidement, de sorte que l'Assemblée nationale n'aura même pas l'occasion de débattre, encore moins de voter sur le budget. Au printemps, il faudra que Québec dépose un autre budget pour tenir compte du budget fédéral. Dans ces conditions, on peut bien se demander à quoi servira le budget Audet, sinon d'outil électoral.

Le ministre peut réserver des surprises. Ce n'est pas un personnage flamboyant, mais il possède une excellente maîtrise de ses dossiers, acquise au fil d'une longue carrière dans la haute fonction publique, dans les médias et à la présidence de la Fédération des chambres de commerce. M. Audet voudra tirer sa révérence en annonçant des initiatives originales.

Déjà, dans La Presse de lundi, mon collègue Denis Lessard révélait que le budget améliorera le financement des transports en commun et confiera davantage de responsabilités (et l'argent qui vient avec) aux élus des régions. Le nouveau ministre des Finances, de quelque parti qu'il soit, aura sans doute intérêt à en tenir compte. En ce sens, même s'il survient à la veille d'élections, le budget Audet a des chances de prendre des allures de vrai budget.