Si David Dodge s'apprête à emballer sa tabatière et à faire ses boîtes à la Banque du Canada, ses dernières journées comme gouverneur ne s'annoncent pas comme un long fleuve tranquille.

Si David Dodge s'apprête à emballer sa tabatière et à faire ses boîtes à la Banque du Canada, ses dernières journées comme gouverneur ne s'annoncent pas comme un long fleuve tranquille.

David Dodge se retrouve dans ce que les anglophones appellent le «hot seat».

Ce n'est pas la chaise électrique -l'expression viendrait de là. Mais c'est une position fort inconfortable. Jamais David Dodge n'a fait l'objet d'autant de pressions depuis le début de son mandat, en 2001.

Au Québec et en Ontario, deux provinces manufacturières qui dépendent des exportations, de plus en plus de voix s'élèvent pour que la Banque du Canada freine la montée fulgurante du dollar.

Mercredi, c'était au tour du premier ministre de l'Ontario, Dalton McGuinty, de réclamer une action plus musclée de la banque centrale.

Rien n'indique que ces pressions politiques vont s'estomper. Le dollar a dépassé hier la barre des 110 cents US avant de terminer la journée à 107,75 cents US. Il a progressé de près de 26% cette année, dont 16% depuis trois mois, du jamais vu!

Pour freiner cette hausse, la Banque du Canada dispose en principe de deux moyens. Elle peut réduire les taux d'intérêt à court terme en abaissant son taux directeur (le taux de financement à un jour, dans le jargon).

Si les taux d'intérêt sont moins intéressants au Canada, les investisseurs placeront leur argent ailleurs, ce qui abaissera la valeur du dollar canadien par le jeu de l'offre et de la demande.

La Banque du Canada peut aussi vendre ses dollars et remplir sa réserve de devises de billets verts, ce qui aurait également pour effet de faire reculer le huard par rapport au dollar américain.

Mais ces ventes auraient un effet plus que limité compte tenu de l'importance des transactions sur le billet vert, qui fait actuellement l'objet d'une vente-débarras.

Les Chinois viennent d'ailleurs de laisser savoir qu'ils réduiront leurs réserves de dollars américains. Il ne faut pas négliger non plus l'attrait du dollar canadien, soutenu par les prix stratosphériques du baril de pétrole et de l'once d'or.

Bref, il n'y a qu'une baisse de taux qui pourrait mater notre dollar hyperactif. Et encore l'effet d'une baisse de 25 centièmes, disons, pourrait être modeste, compte tenu de l'engouement dont profite le huard.

Quoi qu'il en soit, la Banque du Canada ne veut pas en entendre parler, du moins pour l'instant, jugeant que l'économie tourne à plein régime. <

Le premier sous-gouverneur de la Banque du Canada, Paul Jenkins, l'a encore réitéré dans un discours mardi. Abaisser les taux équivaudrait à jeter de l'huile sur le feu et animerait le démon de l'inflation.

Aussi, aucun économiste sérieux ne parie actuellement sur une baisse du taux directeur (à 4,5% depuis juillet) à la prochaine annonce, le 4 décembre.

La surchauffe étant le problème de Fort McMurray et non de Saint-Michel-des-Saints, le ministre québécois du Développement économique, Raymond Bachand, a interpellé Ottawa vendredi.

Devant l'insensibilité de la Banque du Canada, le gouvernement fédéral devrait infléchir son orientation, a-t-il fait valoir.

Le ministre Bachand s'est fait publiquement rabrouer par le premier Stephen Harper, le ministre des Finances Jim Flaherty et même subtilement par sa propre collègue Monique Jérôme-Forget. Tous ont invoqué la fameuse indépendance de la Banque du Canada.

Pourtant, le ministre des Finances a légalement le dernier mot sur la politique monétaire en vertu d'un amendement à la Loi sur la Banque du Canada qui date de 1967.

Cet amendement faisait suite aux sérieux différents entre le gouvernement de John Diefenbaker et le controversé gouverneur James Coyne, qui avait fini par démissionner en 1961.

Mais Jim Flaherty ne pourrait pas user de ce pouvoir sans provoquer le départ du gouverneur de la banque centrale. Et sans envoyer un fort mauvais signal à la communauté financière internationale.

En effet, le Canada ne voudrait certainement pas être associé, même de loin, à un pays comme le Zimbabwe, qui connaît une inflation dans les quatre chiffres à la suite des interventions démentes de son gouvernement.

C'est sans doute pourquoi aucun ministre des Finances ne s'en est prévalu. Même du temps de John Crow. Or, s'il y a eu un gouverneur de la Banque du Canada qui méritait d'être redirigé sur le droit chemin, c'est bien lui.

John Crow voyait l'inflation dans sa soupe. Il a étouffé l'économie du pays avec des hauts taux d'intérêt exagérément élevés en raison d'une soi-disant surchauffe de l'économie de Toronto.

La situation est beaucoup moins nette aujourd'hui. Le taux de chômage au Canada se situe à 5,8%, son taux le plus bas en 34 ans. Et malgré les difficultés de son secteur manufacturier, le Québec se trouve lui aussi à son creux historique avec un taux de 6,9%.

Ainsi, même en déduisant les pertes d'emploi, le Québec a créé 84 900 emplois depuis le début de cette année.

Ce bourdonnement se répercute d'ailleurs sur les salaires. En un an, ils ont progressé de 4,1% au pays et de 3,6% au Québec, tandis que le taux d'inflation se situe à 2,5%. Bref, les pressions inflationnistes ne sont pas une lubie de David Dodge.

Oui, la hausse du dollar canadien est trop rapide. Oui, il faut absolument trouver le moyen de venir en aide aux entreprises exportatrices pour qu'elles puissent s'ajuster et tenir le coup.

Mais une baisse du taux directeur de la Banque du Canada ne réglerait pas tout, n'en déplaise aux politiciens qui font du kilométrage là-dessus. Ainsi, elle ne sauverait pas l'industrie forestière du Québec, qui souffre de problèmes autrement plus graves et profonds.

Aucune décision de David Dodge ne redonnera au Québec de gros arbres faciles à couper au lieu des chicots qui sont de plus en plus coûteux à récolter. Aucune décision de David Dodge ne relancera l'industrie américaine de la construction, en débandade.

Bref, une baisse de taux n'est pas une panacée.