Le vieillissement de la population entraînera un effet majeur sur le marché du travail: pénurie de main-d'oeuvre, hausse des contributions sociales, retraites tardives.

Le vieillissement de la population entraînera un effet majeur sur le marché du travail: pénurie de main-d'oeuvre, hausse des contributions sociales, retraites tardives.

Ces bouleversements sont déjà amplement étudiés et documentés.

Ce que l'on oublie, parfois, c'est que les travailleurs ne sont pas les seuls à vieillir. Les patrons aussi prennent de l'âge, et cela peut avoir un impact sur des milliers d'emplois.

Dans la grande entreprise et les administrations publiques, le problème n'est pas grave. Les organisations importantes sont structurées pour assurer la relève quand un poste se libère à la haute direction.

Mais dans la petite et moyenne entreprise, la situation de la relève est souvent dramatique, à tel point qu'elle compromet la santé financière, la juste valeur marchande et parfois même la survie de l'entreprise.

Malgré ces dangers, une majorité de propriétaires de PME sont mal préparés à assurer la relève. Une récente enquête menée par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) auprès de ses membres montre que 71% des entrepreneurs pensent se retirer au cours des 10 prochains années.

Or, 65% d'entre eux n'ont prévu aucune planification pour réaliser le transfert de l'entreprise, soit à leurs enfants, à des employés, aux autres actionnaires ou à des acheteurs de l'extérieur; une autre tranche de 28% a pensé à un projet plus ou moins informel.

Seulement 7% des répondants ont élaboré une stratégie cohérente et complète (incluant notamment les aspects juridiques) pour assurer la relève de façon harmonieuse.

Au Québec, une des recherches récentes les plus remarquables a été effectuée par Louise Cadieux, de l'Université du Québec à Trois-Rivières.

Mme Cadieux s'est intéressée à la problématique de la relève dans la région de Drummondville, reconnue pour son dynamisme entrepreneurial.

Elle a expédié 410 questionnaires à autant de PME de la région, et a reçu 128 questionnaires remplis, pour un taux de réponse de 31%. Entre autres résultats, on note que 70% des répondants n'ont aucune idée du moment où ils procéderont au transfert de la propriété de l'entreprise.

Pour Marc Cardinal, président de CDE Canada, une entreprise de consultation spécialisée dans les questions de plus-value et de relève, la situation est sans doute encore pire.

On peut penser que les propriétaires de PME qui prennent le temps de répondre aux enquêtes sont, au départ, plus sensibilisés à la question. M. Cardinal compte 40 ans d'expérience dans ce genre de dossier; selon son évaluation, au-delà de 80% des entrepreneurs ne sont pas prêts ou sont mal préparés à assurer la relève.

C'est normal: de façon caractéristique, le propriétaire de PME a bâti lui-même son entreprise et l'a maintenue en vie à bout de bras, souvent au prix d'efforts énormes.

Des années plus tard, il est fier de sa réussite; tellement fier, en fait, qu'il en est venu à se croire indestructible et irremplaçable; il ne songe pas à la retraite, encore moins à la mort. Alors, les questions de relève, vous pensez où il se les met...

M. Cardinal raconte quelques anecdotes à donner le frisson dans le dos.

Voici une belle petite entreprise de 32 employés. André, le fondateur et propriétaire, a cinq enfants. Deux d'entre eux travaillent pour l'entreprise familiale. André a tenu à ce qu'ils commencent au bas de l'échelle tout en poursuivant leurs études.

Triment tous les deux.

Dix ans plus tard, connaissent la compagnie sur le bout des doigts; le premier est directeur des ventes, le deuxième est contrôleur financier. Même si ses trois autres enfants ne montrent aucun intérêt pour l'entreprise, André est content: avec les deux autres, pense-t-il de bonne foi, la relève est assurée.

Erreur. À la mort d'André, les deux frères sont poursuivis par les trois autres qui réclament leur «juste part» de l'héritage. S'ensuit une chicane de famille qui compromet jusqu'à la survie de l'entreprise.

Autre cas: Jean-Paul a mis sur pied une petite entreprise de portes et fenêtres. C'est un passionné du travail bien fait, mais toute sa vie, il a souffert d'avoir lâché l'école avant la fin du secondaire.

Son entreprise est prospère; il a les moyens d'envoyer son fils suivre les meilleurs cours de gestion dans une grande université américaine. Lorsqu'il se décide, à 71 ans, à transmettre l'affaire familiale à son fils, il est confiant: le «jeune» a toute la formation nécessaire pour développer les affaires.

Hélas! ça ne marche pas; le «jeune» a beau être bardé de diplômes, il n'a aucune passion pour le travail du bois. Jean-Paul voyait presque ses portes et fenêtres comme des oeuvres d'art; son fils n'y voit que des objets à commercialiser au meilleur coût possible. Quelques années plus tard, l'entreprise frôlait la faillite.

Des histoires semblables, il s'en passe tous les jours au Québec. Et comme le vieillissement de la population touche tout le monde, les problèmes de relève deviendront de plus en plus aigus avec le temps. Dommage.

C'est ainsi que de belles entreprises possédant un bon potentiel perdent de la valeur ou ferment leurs portes.