Bourse en folie, commerce déchaîné, inflation alarmante L'économie chinoise, inondée de dollars américains, s'emballe. Pékin tente de refroidir la machine. Mais la volonté est-elle vraiment là?

Bourse en folie, commerce déchaîné, inflation alarmante L'économie chinoise, inondée de dollars américains, s'emballe. Pékin tente de refroidir la machine. Mais la volonté est-elle vraiment là?

Le mois dernier, un camionneur chinois, les nerfs à bout après des heures d'attente devant une station d'essence dans la province d'Anhui, a poignardé à mort un autre chauffeur qui l'avait devancé dans la file.

Quelques jours auparavant, une émeute avait éclaté dans une station-service de la ville côtière de Ningbo, faute de carburant, selon plusieurs médias.

Deuxième consommateur de pétrole au monde, la Chine n'arrive plus à répondre à une demande insatiable, d'autant plus forte que les prix sont étrangement bas. En effet, le gouvernement s'obstine à contenir artificiellement les prix à la pompe pour ne pas attiser une inflation alarmante. La surchauffe est de plus en plus manifeste dans l'empire du Milieu.

La semaine dernière, pendant que la crise du crédit attirait toute l'attention du monde des affaires, Pékin a annoncé que les ventes au détail en Chine avaient bondi de 18,8% en novembre (variation annualisée). Un record, encore supérieur au taux de 18,1% d'octobre.

Les ventes de matériaux de construction, notamment, ont grimpé de 57% et celles de meubles de 60%.

Le prix du porc

Le renforcement de la demande des ménages et les hausses de salaire ont contribué à ces résultats. Or, la hausse des prix - de 6,9% dans le pays, un sommet en 11 ans - vient également nourrir cette tendance.

L'envolée des prix des denrées - comme partout dans le monde - est devenue une préoccupation majeure en Chine. Les ventes de céréales et d'huiles comestibles ont bondi de 48% en un an et celles de viandes, d'oeufs et de volailles de 45%, en bonne partie à cause des prix.

Les salaires ont beau augmenter, le porte-monnaie des foyers chinois est mis à rude épreuve. Et pour cause. En octobre, les prix du porc et de l'huile ont progressé de plus de 30% par rapport à 2006. Inquiétant.

Car une poussée inflationniste s'était aussi produite en 1988 et elle avait débouché, en 1989, sur le mécontentement social, les protestations étudiantes et le massacre de la place Tienanmen.

Après cinq ans de croissance à deux chiffres (on prévoit 11,6% en 2007), l'économie chinoise est entrée dans une phase critique.

Les mesures

Pour refroidir la machine, Pékin vient d'annoncer des mesures visant à restreindre le crédit.

La banque centrale va relever d'un point le ratio des réserves monétaires des banques, à 14,5%. Cette hausse, la dixième cette année, était largement attendue.

Toutefois, le gouvernement refuse toujours de faire des gestes plus significatifs. Malgré les pressions américaines et européennes, il n'est toujours pas question d'accélérer l'appréciation de la devise nationale, le yuan, ce qui aurait pour effet de ralentir les exportations - le principal moteur de croissance du pays.

En visite à Pékin la semaine dernière, le secrétaire du Trésor américain, Henry Paulson, a encore tenté de convaincre le gouvernement: il faut s'attaquer au gouffre commercial Chine/États-Unis, car l'accroissement de 9% (à 25,9 milliards US) du déficit commercial entre les deux puissances, en octobre, démontre que le problème s'aggrave.

M. Paulson a tendu une perche à ses hôtes: «(Le gouvernement) a énuméré les problèmes qui concernent la stabilité du pays, notamment une inflation croissante [...] une politique de change plus flexible est particulièrement importante maintenant.»

Sous-entendu: réévaluer le yuan, c'est dans votre intérêt.

Mais Pékin fait la sourde oreille, arguant que le déséquilibre commercial est surtout dû à la faiblesse du billet vert. Traduction: le problème, c'est vous, ce n'est pas nous.

Pour Pékin, ce n'est pas le moment de freiner les exportations chinoises parce que, justement, l'inflation risque d'affaiblir la demande intérieure. Alors on garde le pied sur l'accélérateur. Frustrant.

Malgré tout, il y a de l'espoir. Sous l'effet des pressions internationales, le Dragon chinois souffle le chaud et le froid ces temps-ci, entrouvrant peu à peu la porte de sa Grande Muraille économique.

Il y a deux semaines, Pékin a promis de supprimer les subventions à l'exportation de certaines industries. De plus, on va ouvrir davantage les Bourses locales aux étrangers, en triplant (à 30 milliards US) les quotas d'investissement.

Mais l'Occident devra s'y faire: la Chine économique n'est pas pressée de changer. Quitte à écorcher ses principaux clients s'il le faut. Entre-temps, on pourra toujours se consoler avec ce proverbe mandarin: avec le temps et la patience, la feuille du mûrier devient de la soie.