Le moins que l'on puisse dire, c'est que le Tournant vert du chef libéral soulève davantage de questions qu'il n'apporte de réponses.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le Tournant vert du chef libéral soulève davantage de questions qu'il n'apporte de réponses.

À en juger d'après vos commentaires, chers lecteurs, vous avez été nombreux à visiter le site du Parti libéral du Canada pour consulter le document. En ce sens, il semble bien que le parti a réussi à susciter un intérêt certain. Mais beaucoup d'entre vous sont restés sur votre faim.

Ce qui vous chicote le plus, c'est l'impact du programme libéral sur votre portefeuille.

En gros, M. Dion propose de taxer davantage les entreprises polluantes, et de distribuer le produit de cette taxe aux contribuables. Autrement dit, un gouvernement libéral donnerait d'une main ce qu'il prendrait de l'autre. «Pour chaque dollar perçu grâce à la nouvelle taxe, il y aura une baisse d'impôt correspondante pour les Canadiens», clame le Tournant vert. On ne saurait être plus explicite.

M. Dion pousse le souci du détail jusqu'à chiffrer, au dollar près, les éventuelles baisses d'impôt qui pourraient être financées avec la nouvelle taxe sur le carbone. Ainsi, un couple avec deux enfants ayant un revenu de 60 000 $ épargnerait 1350 $ en impôt, la quatrième année du programme.

En revanche, le document est particulièrement compliqué lorsqu'il s'agit de mesurer l'impact de la nouvelle taxe sur le portefeuille du consommateur. Certes, il fournit un tableau qui chiffre les hausses liées aux différents carburants au bout de quatre ans (par exemple, 6,1 cents le litre pour le propane, ou 69,70 $ la tonne pour le charbon sous-bitumineux), mais cela ne nous apprend pas grand-chose. On donne aussi quelques exemples concrets : par exemple, la famille canadienne qui chauffe sa maison au mazout paiera 50 $ de plus la première année, et ce montant grimpera à 203 $ (ou 16,95 $ par mois) la quatrième année.

Ces explications sont utiles, mais largement insuffisantes.

La taxe sur le carbone sera établie à 10 $ pour chaque tonne d'émission de gaz à effet de serre. Elle grimpera ensuite de 10 $ par année au cours des trois années suivantes, pour atteindre 40 $ au bout de quatre ans. Elle frappera les centrales thermiques, les pétrolières, les usines de métaux, de produits chimiques, de pâtes et papiers, en fait l'ensemble du secteur manufacturier, les producteurs agricoles, et même les administrations publiques (le traitement des eaux usées et l'incinération des déchets, par exemple, émettent 1,2 million de tonnes de gaz à effet de serre par année au Canada).

Les libéraux pensent que la taxe sur la carbone, à son niveau maximal de 40 $, rapportera 15,3 milliards par année. Ils ne chiffrent pas le produit de la taxe pour les trois premières années, mais un simple calcul permet de croire qu'elle rapportera 3,8 milliards la première année, 7,7 milliards la deuxième et 11,5 milliards la troisième.

Ces montants sont probablement en deçà de la réalité. Si on exclut l'essence à la pompe, qui ne sera pas touchée par la nouvelle taxe, le Canada émet plus de 540 millions de tonnes de gaz à effet de serre

par année.

À 40 $ la tonne, la taxe devrait donc facilement rapporter autour de 22 milliards.

Mais tenons-nous-en pour le moment aux chiffres des libéraux.

Les entreprises qui devront acquitter la nouvelle taxe n'absorberont pas elles-mêmes cette dépense supplémentaire, cela saute aux yeux.

Chaque fois qu'une entreprise fait face à une augmentation de coûts, que ce soit une hausse du prix des matières premières, de l'outillage et de l'équipement, de nouvelles taxes ou une nouvelle convention collective, chaque fois, elle ajuste ses prix de vente en conséquence. C'est tout à fait normal : ne pas tenir compte du prix coûtant, c'est condamner l'entreprise à la faillite.

En fin de compte, ce sont les consommateurs qui paieront la nouvelle taxe.

La première année, à 3,8 milliards, cela reviendra à 115 $ par habitant, ou 460 $ pour une famille de quatre personnes. Le même ménage paiera 920 $ l'année suivante, 1380 $ la troisième année et 1840 $ la quatrième.

Personne ne recevra de facture. Mais telles sont les sommes qui seront dissimulées dans les nouvelles structures de prix.

Ces chiffres ne fournissent qu'une idée. Les Québécois, par exemple, paieront moins parce qu'ils n'ont pas de centrales thermiques (ou si peu) et que l'hydro-électricité n'émet aucun gaz à effet de serre. Il est également possible que les entreprises, pour toutes sortes de raisons, ne refilent pas la totalité de la facture à leurs clients. Ces calculs ne tiennent pas compte de la croissance démographique. N'empêche : l'ordre de grandeur est là.

Personne ne peut être contre un environnement plus sain. Mais l'un des reproches qu'on peut faire aux militants écologistes est de ne pas avoir assez insisté sur le fait que cela ne se fera pas gratuitement. Le Tournant vert des libéraux suit la même ornière.