Vous savez que vous avez de gros ennuis quand un client fidèle vous laisse tomber d'exaspération de la même façon qu'il abandonnerait un tacot fumant au bord de l'autoroute.

Vous savez que vous avez de gros ennuis quand un client fidèle vous laisse tomber d'exaspération de la même façon qu'il abandonnerait un tacot fumant au bord de l'autoroute.

C'est ce qui arrive à Bombardier.

Le groupe SAS a résolu de se débarrasser de ses 27 avions de modèle Q400 à la suite d'un énième accident mettant en cause leurs trains d'atterrissage. Il s'agit d'une décision extrême, arrêtée dimanche lors d'une réunion extraordinaire du conseil de ce transporteur scandinave.

«Nos clients ont de plus en plus de doutes quand vient le temps de voler sur ces appareils», a expliqué Mats Jansson, président et chef de la direction de SAS, société mère de Scandinavian Airlines.

«Cet appareil ne répond pas aux attentes de nos passagers en termes de ponctualité et de fiabilité», a renchéri John Dueholm, chef de la direction adjoint. Et d'ajouter cette phrase assassine: «Il y a un risque que l'utilisation continue du Dash 8 Q400 endommage notre marque de commerce.»

La goutte qui a fait déborder le vase, c'est l'atterrissage raté d'un avion de la Scandinavian Airlines à Copenhague samedi. Si les 44 personnes à bord s'en sont tirées indemnes, Bombardier se retrouve avec un bel oeil au beurre noir.

Le week-end s'annonçait pourtant prometteur lorsque les dirigeants de Bombardier Aéronautique ont quitté le bureau, vendredi. Ils avaient de bonnes raisons de déboucher une grande bouteille de bordeaux et de célébrer cette semaine riche en contrats.

Deux commandes annoncées coup sur coup, lundi et mardi, ont ajouté 22 avions Q400 au carnet de commandes. Ces contrats de près de 590 M$ US confirment le come-back de cet avion turbopropulsé (à hélices) qui peut accueillir jusqu'à 78 passagers.

Bref, Bombardier semblait être enfin sortie de la turbulence dans laquelle elle navigue depuis des mois avec son Q400. Car l'accident de samedi est le dernier d'une longue série.

Il y a eu ce Q400 de la compagnie Augsburg Airways qui a atterri sur le nez à Munich, le 21 septembre. Quelques jours plus tôt, deux atterrissages ratés impliquant des appareils de SAS avaient cloué au sol les Q400 les plus usés.

Avant cela, deux transporteurs japonais, All Nippon Airways (ANA) et Japan Air Commuter, avaient signalé 77 incidents avec le Q400, dont une vingtaine sont liés au train d'atterrissage avant. Le plus spectaculaire s'est produit en mars, lorsqu'un avion d'ANA a atterri sur le nez dans un nuage d'étincelles.

SAS a réclamé un dédommagement de 77 millions de dollars de Bombardier à la suite des atterrissages ratés de septembre. Mais il ne faut pas faire de lien entre cette réclamation et sa décision de se départir de ses Q400.

En effet, cette décision coûtera fort cher à SAS, qui devra louer d'autres avions pour remplacer les avions de Bombardier. C'est sans parler des inconvénients que cela causera à sa clientèle au cours des prochains jours.

Les Q400 assuraient non seulement des liaisons régionales mais alimentaient les plaques tournantes de Copenhague et de Stockholm. Des dizaines de vols sont touchés.

Bref, c'est un embêtement majeur pour SAS. Aussi, ce n'est pas une décision qu'un transporteur prend à la légère. Comment SAS, client de la première heure du Q400, en est-il venu là?

Il faut voir que Bombardier a d'abord refusé de reconnaître sa responsabilité dans les incidents survenus en septembre.

C'est la corrosion d'une pièce (le vérin de rentrée du piston de rétraction, si vous tenez à savoir) qui expliquerait l'affaissement du train d'atterrissage dans ces deux cas.

Or, un porte-parole de Bombardier avait d'abord laissé entendre que SAS entretenait mal ses appareils!

Changement de discours dimanche. La vice-présidente communications de Bombardier Aéronautique, Hélène Gagnon, a reconnu que la pièce en question pouvait être défectueuse.

Tous les Q400 en service ont été inspectés pour vérifier s'il avait lieu de la réparer ou de la remplacer. C'est en ces occasions qu'il est bon de se rappeler le vieux dicton selon lequel le client a toujours raison

L'accident de samedi ne semble toutefois pas relié aux accidents de septembre. Pas plus que les accidents de septembre ne seraient reliés aux accidents des transporteurs japonais. Mais tous ces incidents ont un point en commun: les trains d'atterrissage fabriqués par Goodrich.

Après avoir révisé les trains d'atterrissage du Q400 de A à Z, Goodrich et Bombardier ont toutefois conclu qu'ils n'avaient aucun vice de conception et de fabrication.

Et pourtant, il y a visiblement un bogue!

«À ce stade-ci, je ne peux pas expliquer pourquoi ce sont les pièces du train d'atterrissage qui font défaut. C'est encore sous enquête», dit Hélène Gagnon.

Bombardier s'est abstenue de montrer Goodrich du doigt. Mais de deux choses l'une. Ou bien c'est la faute de Bombardier, et l'entreprise montréalaise devrait avoir le courage de l'admettre.

Ou bien c'est la faute de Goodrich, et Bombardier devrait hausser le ton envers son fournisseur. Car ce flottement qui perdure nuit surtout à Bombardier.

La décision de SAS ne manquera pas de refroidir les ardeurs des clients potentiels du Q400 comme des clients actuels, qui pourraient ne pas exercer leurs options d'achat.

Cela pourrait aussi influer sur le prix des avions Q400, qui varie selon l'importance de la commande et la popularité de l'avion; ce prix négocié en secret est généralement inférieur au prix affiché.

L'usine torontoise qui assemble ces appareils ne devrait toutefois pas souffrir à court terme. Les avions turbopropulsés, moins gourmands en carburant, ont retrouvé la faveur des transporteurs avec la flambée du prix du pétrole.

Ainsi, l'usine de Havilland a deux bonnes années de travail devant elle.

Mais cela pourrait donner des munitions aux concurrents de Bombardier. Le consortium européen ATR est en train de moderniser ses avions turbopropulsés avec les technologies les plus récentes.

Et la Chine prévoit lancer un concurrent au Q400 de Bombardier.

Bref, comme Bell Canada l'a appris à la dure lorsque ses problèmes de facturation dans le sans-fil se sont éternisés, Bombardier Aéronautique doit régler ce problème au plus vite. C'est sa crédibilité même qui est en jeu.