Le plus désolant dans le choix de Sarah Palin comme colistière de John McCain n'est pas le fait qu'elle prône l'abstinence sexuelle comme moyen de contraception. Et ce n'est pas qu'elle soit retournée travailler quelques jours après avoir accouché d'un enfant trisomique ni que sa fille de 17 ans soit enceinte. Vrai, il y a des aspects de sa vie qui entrent en flagrante contradiction avec ses convictions personnelles et politiques. Mais ce sont ses propres contradictions et elle devra les assumer d'abord et avant tout en privé, avec sa famille.

Le plus désolant, c'est ce que révèle ce choix sur John McCain. À propos de son impulsivité et de son jugement d'abord. Si l'on en croit les comptes rendus de la presse américaine, Mme Palin a été choisie à la toute dernière minute. Le candidat à la présidence, qui aurait préféré Joe Lieberman, ne l'avait rencontrée qu'une seule fois avant de la convoquer en entrevue. La rencontre n'a pas été très longue mais suffisamment satisfaisante, semble-t-il, pour que McCain s'imagine cohabiter avec Mme Palin à la Maison-Blanche durant quatre ans. Le fait qu'elle ait très peu d'expérience ne l'a aucunement découragé. Et on voudrait que les électeurs soient moins cyniques à l'endroit de la classe politique ?

Le choix de Mme Palin traduit également un certain mépris de la part de John McCain et de son entourage à l'endroit des femmes en politique. Comme si c'était un accessoire indispensable pour la saison. On imagine la scène. Des stratèges réunis d'urgence, un peu découragés par les sondages et par les réactions positives au discours d'Obama. Des conseillers en image qui, à la veille de la convention républicaine, voient bien que l'argument de l'expérience de McCain n'est plus suffisant pour convaincre les indécis. «Je l'ai, choisissons une femme !» s'est sans doute écrié un des conseillers sur le même ton qu'un publicitaire dirait : «Je l'ai, choisissons le rouge !»

C'est ainsi que le Parti républicain va confirmer une candidate à la vice-présidence non pas pour sa connaissance fine des relations internationales ou pour ses qualités de gestionnaire, mais simplement parce qu'elle est une femme avec une image forte. Une femme à la personnalité colorée, mère de cinq enfants et reconnue pour avoir « joué agressif » au basket-ball lorsqu'elle était adolescente. C'est le triomphe de la femme-objet ou, pour reprendre un terme à la mode dans les années 90, le retour de la femme-alibi. Si Sarah s'était appelée Bob, elle aurait tranquillement continué à gouverner l'Alaska et la nation américaine ne serait pas en train de discuter de la grossesse de sa fille dans les émissions de tribunes téléphoniques.

Il n'y a aucun doute qu'en choisissant Sarah Palin, les républicains souhaitent séduire les indéfectibles partisans d'Hillary Clinton. C'est un choix plutôt décevant. Les femmes qui ont suivi Hillary jusqu'au bout et qui arborent encore leur macaron Nobama rêvaient de faire l'histoire en élisant une femme d'expérience à la présidence des États-Unis. À ces pures et dures qui n'ont pas encore fait le deuil de la défaite de leur candidate, on balance Mme Palin comme un vulgaire prix de consolation. Comme si on disait : «Tenez, la voilà votre femme ! Votez pour nous maintenant.» C'est vraiment insultant.