Le PDG de Coveo, Louis Têtu, décrit son entreprise comme « le joueur dominant dans l’application de l’intelligence artificielle dans le monde des affaires au Canada ». Et pour bien illustrer son travail, il affiche sur son écran d’ordinateur les sites web de plusieurs entreprises connues, dont Nespresso.

« On a la technologie d’apprentissage profond [un domaine de l’IA] qui change complètement, de façon dynamique, le comportement du site web, dit-il. Si vous êtes un buveur de café à Barcelone, en Belgique, à Boston ou à Montréal, vous n’aurez pas le même comportement. »

Comment ça marche ?

Sa comparaison avec l’offre personnalisée conçue pour chacun des utilisateurs de Netflix est particulièrement éloquente.

« On rend les expériences numériques un peu comme celle sur Netflix. En 10 secondes, Netflix est capable de vous recommander le contenu qui va vous plaire et va maximiser le temps d’écoute. »

De la même façon, Coveo permet à diverses entreprises d’offrir des services personnalisés à leurs clients. « Et tout ça, c’est fait par l’intelligence artificielle », s’exclame-t-il.

Je lui dis avoir appris que Walmart avait annoncé récemment, au Consumer Electronics Show (CES) à Las Vegas, qu’il mettait l’IA au cœur de son modèle d’affaires pour l’expérience de ses clients.

« C’est certain, réplique-t-il. Ça va devenir un choix binaire. Ou bien vous allez l’adopter, ou bien vous allez – implicitement ou inconsciemment – décider de rivaliser avec ça. Et ce qu’on sait déjà, c’est que vous allez perdre contre un concurrent qui offre une expérience d’intelligence artificielle. Que ce soit Walmart ou n’importe qui ! »

Il m’a ainsi dit prévoir que, grâce aux progrès de l’intelligence artificielle générative, nous pourrons bientôt remplir notre panier d’épicerie « en donnant une image de ce qu’il y a dans le frigo et en décrivant essentiellement la semaine de votre famille ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Louis Têtu, PDG de Coveo

La capacité de ces technologies-là de générer des solutions concrètes, c’est ça, fondamentalement, qui va changer le monde. Vous allez voir en 2024 les applications concrètes se matérialiser, alors je pense que vous êtes mieux d’être en avant de cette parade que d’essayer de courir après.

Louis Têtu, PDG de Coveo

S’agit-il d’une évolution historique ? Chose certaine, la vice-présidente recherche en intelligence artificielle chez Meta (anciennement Facebook) compare pour sa part le moment actuel à celui de l’électrification de nos sociétés, à la fin des années 1800.

« C’est le parallèle que j’ai entendu et il est convaincant, plein de gens qui étaient des marchands de chandelles ont dû se trouver autre chose à faire, rapporte Joëlle Pineau. On ne veut pas que nos entreprises québécoises soient des marchands de chandelles. Il va falloir qu’elles apprivoisent l’IA et qu’elles la mettent au sein de leurs processus. »

Le pronostic peut sembler brutal.

En revanche, il reste encore du temps pour que les entreprises montent dans le train en marche.

Car Joëlle Pineau précise que ce n’est pas cette année qu’on verra des changements brusques.

« On a beaucoup de travail à faire sur le plan de la recherche et du développement de l’intelligence artificielle, mais aussi beaucoup d’incertitudes quant à savoir comment l’utiliser et l’appliquer. Comment l’incorporer dans notre façon de travailler, dans nos vies, dans nos outils ? Et comment l’intégrer d’un point de vue responsable et éthique, comment construire le cadre législatif ? Autant de questions ouvertes sur lesquelles il va falloir innover. »

Je reviendrai un peu plus loin sur l’urgence d’encadrer le développement de l’IA. Mais résumons d’abord ce qu’envisage l’experte de Meta pour 2024 en intelligence artificielle : ce sera une année d’essais et d’erreurs.

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Joëlle Pineau, vice-présidente recherche en intelligence artificielle chez Meta

On va l’essayer à toutes les sauces. Et il va y avoir des cas très convaincants où ça va transformer les choses et des cas où ça ne va pas marcher pantoute. Il ne faut pas se surprendre ni de l’un ni de l’autre. On est dans une phase d’exploration.

Joëlle Pineau, vice-présidente recherche en intelligence artificielle chez Meta

Un changement de game

Ravy Por, associée en intelligence artificielle et données chez Deloitte, ne prononce pas le mot « exploration », mais c’est tout comme.

« L’intégration prend beaucoup de temps. Parce que c’est un changement de culture : une culture d’innovation, une culture d’intégration de nouvelles technologies. »

Elle dit constater que les tests se multiplient dans la foulée des récentes percées en intelligence artificielle générative. Des entreprises, par exemple, cherchent à se doter de leur propre robot conversationnel.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Ravy Por, associée en intelligence artificielle et données chez Deloitte

« Parce qu’elles veulent protéger leurs données. Elles ne veulent pas les mettre dans un espace public et que ce soit utilisé pour l’entraînement des modèles sur une plateforme comme celle de ChatGPT » – qui a été développée par l’entreprise américaine OpenAI, dirigée par le controversé Sam Altman.

Je remarque qu’elle prononce aussi le mot « révolution » à quelques reprises. Elle dit avoir l’impression que les GPT (littéralement : transformateur génératif préentraîné) sont en train de « révolutionner le monde ».

Tout comme elle juge importante l’ouverture récente du magasin d’applications GPT Store, qui semble calqué sur le modèle de celui mis en place par Apple il y a plus de 15 ans. Objectif : permettre aux développeurs de concevoir des robots conversationnels avec des tâches spécifiques et de les offrir dans ce magasin. Ça aussi, on devrait en entendre parler davantage en 2024.

Maintenant, comment convaincre les entreprises québécoises de faire preuve de plus d’enthousiasme à l’égard de l’intelligence artificielle ?

Olivier Blais, cofondateur de l’entreprise montréalaise Moov AI, offre des services de consultation dans ce domaine, et il possède des exemples et des chiffres pour y parvenir.

« Il y a énormément de cas dans lesquels l’IA générative a clairement changé la game », me dit-il, citant un des mots fétiches de l’entraîneur du Canadien, Martin St-Louis.

Vous me permettrez donc de paraphraser Martin St-Louis tout en résumant les propos d’Olivier Blais. Il est clair pour ce dernier que lorsque l’IA amène sa game dans la game d’une entreprise, il se produit au sein de celle-ci des gains tangibles.

Il en cite plusieurs : faciliter la création de présentations PowerPoint, d’outils conversationnels – notamment pour dialoguer avec les clients –, d’études de marché, etc.

Pour souligner les avantages d’adopter l’IA, il me met au courant d’une étude effectuée l’an dernier par des chercheurs de l’Université Harvard et du Boston Consulting Group. On a voulu comparer le travail fait par des consultants qui utilisaient l’intelligence artificielle (la version GPT4) avec les tâches effectuées par ceux qui n’y avaient pas recours.

Ce qui a été démontré, c’est que pour une grande variété de tâches, les gens étaient capables [avec ChatGPT] d’aller chercher 25 % plus de productivité et 40 % plus de qualité.

Olivier Blais, cofondateur de Moov AI

Ça signifie que « la gestion du changement va être importante en 2024 », au Québec comme ailleurs, en raison de l’IA. À la fois au sein des organisations « pour rester à jour », mais aussi chez les employés, souligne la cofondatrice de Videns Analytics, une entreprise en valorisation des données et intelligence artificielle, Sarah Legendre Bilodeau.

« Prenons un professionnel qui fait son travail d’une certaine façon depuis 25 ans… Il y a eu une certaine modernisation de la pratique dans certains métiers, mais ça n’a jamais été un choc comme on le vit. »

C’est donc dire que 2024 sera aussi une année sous le signe de l’adaptation, dans toutes les professions.

Y compris au sein du réseau de l’éducation, prédit celle qui est aussi chargée de cours à HEC Montréal.

On va entre autres « devoir très rapidement moderniser les façons d’évaluer les apprentissages ». Pour trouver des façons d’éviter, autant que faire se peut, les possibilités de plagiat (comme dans ce sketch du plus récent Bye Bye, où un cancre avait rédigé un excellent travail de 400 pages sur l’albatros à nez jaune de l’Atlantique).