En 2010, une petite polémique avait éclaté autour du roman La carte et le territoire de Michel Houellebecq, qui venait de remporter le prix Goncourt. On avait découvert dans ce roman des passages entiers recopiés de l’encyclopédie en ligne Wikipédia. Plagiat ? Collage littéraire ? Intertextualité ? Toujours est-il que Houellebecq n’avait pas nié et avait même remercié Wikipédia dans l’édition de poche de son livre. De toute façon, il était loin d’être le seul écrivain à avoir eu recours à cette encyclopédie collective pour construire un roman, assez pour qu’on parle pendant un moment de « littérature Wikipédia ».

Autres temps, autre polémique. En remportant le prestigieux prix Akutagawa, qu’on décrit comme le Goncourt japonais, l’écrivaine Rie Kudan a causé l’émoi en avouant avoir utilisé ChatGPT pour écrire environ 5 % de son roman, qui se déroule dans un Tokyo futuriste. Après quelques pétages de coche et chemises déchirées sur les réseaux sociaux, on a fini par comprendre que ces extraits étaient essentiellement contenus dans des dialogues, lorsqu’un personnage échange avec l’intelligence artificielle.

C’est embêtant, on n’a pas pu lire encore ce livre qui n’a pas été traduit en français, mais ce qu’on note, c’est que les dialogues générés par l’IA font partie intégrante de l’histoire, et… et pourquoi pas ? La romancière a d’ailleurs l’intention de poursuivre cette exploration de l’IA dans son œuvre.

À l’avenir, je compte utiliser l’IA générative de texte. Je voudrais l’employer astucieusement dans l’écriture des romans tout en démontrant ma propre créativité.

Rie Kudan

Un écrivain mérite-t-il de recevoir un prix littéraire si 5 % de son roman a été écrit par l’intelligence artificielle ? J’ai posé la question à un logiciel de ChatGPT qui m’a répondu : « La question est complexe et ouverte à l’interprétation. Cela dépend de différents facteurs tels que l’impact de l’intelligence artificielle sur l’œuvre, le rôle de l’écrivain dans sa création et les critères du prix littéraire en question. Dans l’état actuel de l’écriture assistée par l’IA, il est généralement admis que l’intelligence artificielle ne peut pas être considérée comme un auteur à part entière. Cependant, l’utilisation de l’IA peut jouer un rôle significatif dans l’élaboration du contenu d’un roman. Si l’écrivain n’a fait que superviser ou modifier les résultats de l’IA, cela pourrait être considéré comme une collaboration entre l’écrivain et l’IA. Dans ce cas, il est légitime de se demander si l’écrivain mérite un prix pour son travail. Cependant, si l’IA a joué un rôle prépondérant dans la création du roman, il peut être plus difficile de soutenir que l’écrivain mérite seul le prix. Dans ce cas, la reconnaissance pourrait être partagée entre l’écrivaine et l’IA, en reconnaissant le rôle de chacun dans la création de l’œuvre. »

J’arrête ici la retranscription avant qu’on m’accuse d’avoir écrit plus de 5 % de cette chronique avec ChatGPT, qui me donne l’impression de prêcher pour sa paroisse (ou un prix littéraire). Le problème ici est que si je n’avais pas précisé que cette réponse provenait de l’IA, on n’y aurait vu que du feu (et un peu moins d’humour que d’habitude). En ce sens, je trouve Rie Kudan plutôt honnête d’avoir expliqué sa démarche.

Le débat est ailleurs, plus précisément à quoi se nourrit l’IA. Dans un billet sur France Culture, l’écrivain Bernard Werber rappelait qu’un regroupement d’auteurs américains, parmi lesquels John Grisham et Michael Connelly, a lancé une action collective contre la firme Open AI, lui reprochant d’avoir utilisé leurs œuvres pour créer des romans sans leur consentement et sans bien sûr recevoir un sou pour cela. Plus de 10 000 auteurs ont signé la pétition. Il nous apprend aussi que les fans de Games of Thrones, tannés d’attendre le prochain livre de George R. R. Martin, ont utilisé ChatGPT pour finir la série, ce que je trouve troublant, car où est l’intérêt, si ça ne vient pas de l’auteur de la saga ? Remarquez, l’impatience et l’admiration nous ont donné ce que l’on appelle la fanfiction, quand des auteurs en herbe s’approprient un univers qu’ils aiment pour continuer à le développer. L’IA va-t-elle détruire ce domaine, puisqu’elle écrit beaucoup plus vite que nous ?

Werber lui-même a testé l’application, lui demandant de créer un texte dans le style « Werber », pour en conclure avec une étonnante humilité que ChatGPT écrivait mieux que lui, car les phrases générées étaient à son avis plus complexes et le vocabulaire plus riche !

« En fait, ça m’a permis de comprendre encore mieux ma spécificité d’auteur, a-t-il dit. Je privilégie la complexité de l’histoire sur la complexité de la forme. Ce que me proposait ChatGPT, c’est comme un plat en sauce, où l’on remplace la banalité ou la fadeur de l’histoire par l’épaisseur de la sauce. Or, je ne pense pas que ChatGPT puisse inventer une intrigue complexe originale, elle ne peut que copier celles qui existent déjà. Et justement, c’est en cela que ce phénomène est intéressant : cela va obliger les vrais écrivains à devenir encore plus créatifs, encore plus originaux, et probablement à prendre encore plus de risques pour sortir des chemins battus. »

Werber me semble optimiste, mais je ne suis pas rassurée (les scénaristes qui ont fait la grève à Hollywood non plus). Le lectorat, lui, fera-t-il la différence ? Moi qui me croyais bonne pour repérer les images générées par l’IA, j’ai lamentablement échoué à un test fascinant du New York Times qui demandait de reconnaître les vraies photos de visages d’êtres humains parmi celles fabriquées par l’IA. Faites le test et soyez confondus. Comment pourrais-je alors repérer des extraits de romans écrits par un robot ?

Consultez l’article « Test Yourself : Which Faces Were Made by A.I. » (en anglais, avec abonnement)

Ô, ChatGPT, récite-moi les premiers mots de La divine comédie de Dante ! La réponse : Bien sûr. En plein milieu du chemin de notre vie, je me suis retrouvé dans une forêt sombre, car le droit chemin était perdu… J’aurais préféré la voix de Fayolle Jean Sr plutôt que celle robotisée de l’application, mais j’imagine que ça viendra, avec l’hypertrucage vocal.