Le monde entier s’expose aux dérapages potentiels de l’IA cette année.

Entre autres parce que des scrutins nationaux ont lieu dans plus de 50 pays en 2024, ce qui représente plus de la moitié de la population de la planète. Y compris les États-Unis, première puissance mondiale.

Je savais que Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, se penchait sur le problème de la désinformation depuis plusieurs années.

Quand nous avons échangé à ce sujet, elle m’a rapidement parlé du Global Risks Report 2023, publié en marge du Forum économique mondial de Davos à la mi-janvier. Pour les experts sondés dans le cadre de cette étude, l’un des risques les plus sérieux pour le monde à court terme est « la désinformation et la mésinformation ».

Ce n’est pas étonnant, puisque « l’intelligence artificielle permet de décupler la production ou la diffusion de contenus trompeurs », dit-elle. Des « acteurs chevronnés » comme les pirates du régime russe disposent donc désormais d’« outils supplémentaires » qui leur donnent « encore plus de force de frappe ».

J’ouvre une parenthèse ici pour souligner que les simples fraudeurs vont aussi tirer profit de ces nouveaux outils. Et c’est déjà commencé. Le récent texte de mon collègue Charles-Éric Blais-Poulin, qui raconte comment on utilise maintenant des hypertrucages au téléphone pour soutirer de l’argent à des Québécois, le démontre clairement.

Consultez l’article « Berné par la fausse voix de son fils », de Charles-Éric Blais-Poulin

Même Taylor Swift a fait les frais, récemment, des trucages effectués grâce à l’IA. De fausses images pornographiques de la populaire chanteuse ont circulé sur les réseaux sociaux pendant plusieurs heures. La controverse a fait réagir la Maison-Blanche. Une porte-parole a rappelé que « le manque d’application des règles a un impact disproportionné sur les femmes et les filles, qui sont les principales cibles du harcèlement en ligne ».

Colette Brin demeure cependant prudente quant à un impact majeur sur les élections, qu’elle qualifie d’hypothétique. Elle parle d’« inquiétudes », mais aussi d’« incertitudes ».

Ce dont elle est sûre, toutefois, c’est que 2024 va être « le grand laboratoire » en la matière.

Un exemple frappant : aux États-Unis, avant la primaire du New Hampshire, des électeurs ont reçu des appels automatisés où une voix ressemblant à s’y méprendre à celle de Joe Biden les exhortait à ne pas voter. Les autorités de l’État ont déclenché une enquête et estiment que l’IA est en cause.

Un autre laboratoire où les risques ne sont pas négligeables, c’est le milieu culturel.

« J’avais peur avant et j’ai encore plus peur » pour la culture québécoise, m’a dit le directeur général du Conseil de l’innovation du Québec, Luc Sirois.

Il souligne les bienfaits potentiels de l’intelligence artificielle, mais il estime aussi que les dangers posés par le virage numérique pris par nos sociétés ne vont faire que s’accentuer.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Luc Sirois, directeur général du Conseil de l’innovation du Québec

Les médias sociaux, la vie numérique, ont créé plein d’enjeux, dont la menace aux médias québécois et à la culture québécoise. Et l’IA amplifie par 1000 les dangers qui existaient déjà.

Luc Sirois, directeur général du Conseil de l’innovation du Québec

Sachez que ses bottines vont suivre ses babines sous peu.

Son organisme s’apprête à publier une série de recommandations, à la demande du gouvernement du Québec, pour veiller à ce qu’on développe et utilise l’intelligence artificielle de façon responsable.