Avertissement : ceci n’est pas un éditorial sur le golf.

On n’a toutefois pas le choix de parler de l’histoire de la semaine dernière sur la planète sportive : la création du nouveau circuit international de golf LIV, qui doit concurrencer la PGA. Plusieurs des meilleurs golfeurs ont fait défection de la PGA après que la LIV leur eut fait un pont d’or.

Un nouveau circuit offre à des golfeurs millionnaires l’occasion de faire encore plus de millions ? Il n’y a pas de quoi écrire à sa mère.

Sauf que ce nouveau circuit, c’est l’idée et la propriété de l’Arabie saoudite, un régime autoritaire qui a tué le journaliste Jamal Khashoggi, qui a l’un des pires bilans au monde en matière de droits de la personne, qui impose la peine de mort et qui traite l’homosexualité comme un crime passible de la peine de mort. La liberté d’expression n’existe pas en Arabie saoudite, comme le montre le cas du blogueur Raif Badawi, libéré cet hiver après 10 ans de prison (il lui est interdit de quitter l’Arabie saoudite pendant encore 10 ans).

Ce n’est pas la première fois qu’un régime autoritaire veut utiliser le sport pour redorer son image et faire oublier ses violations systématiques des droits de la personne. Cet exercice mêlant vanité et relations internationales se nomme le sportswashing (traduction libre : « blanchiment par le sport »).

Les derniers Jeux olympiques ont eu lieu à Pékin, en Chine, un pays où les Ouïghours sont victimes d’un génocide, a tranché la Chambre des communes.

La prochaine Coupe du monde de soccer aura lieu au Qatar, un régime autoritaire où les conditions des travailleurs migrants sont déplorables et où et les femmes et les personnes LGBTQ sont victimes de discrimination, selon Amnistie internationale.

Quand l’un d’eux veut redorer son image, l’Arabie saoudite (Newcastle), les Émirats arabes unis (Manchester City) ou le Qatar (PSG) achètent habituellement, par l’entremise de leur fonds souverain, une équipe de soccer prestigieuse ou accueillent une grande compétition internationale.

Avec le circuit de golf LIV, l’Arabie saoudite tente de porter le sportswashing à un niveau supérieur : posséder un sport au complet. Ou, plus précisément, un circuit de sport.

Vous pensez que ce débat éthique ne vous concerne pas car vous ne suivez pas le sport ? Détrompez-vous. Avec son fonds souverain de 190 milliards US, l’Arabie saoudite étend ses tentacules économiques dans plusieurs multinationales.

Par exemple, le fonds souverain de l’Arabie saoudite est le troisième actionnaire d’Uber (3,7 % des actions) et de Live Nation (5,5 % des actions), de loin le plus important producteur de spectacles de musique au monde. (Live Nation a aussi des intérêts financiers dans des festivals comme Osheaga, le Festival international de jazz de Montréal et les Francos de Montréal.)

Tout à coup, l’Arabie saoudite n’est plus un régime autoritaire lointain qu’on peut facilement ignorer. Il fait partie de notre quotidien…

On admire le talent des sportifs. On leur pardonne ainsi bien des choses. Mais si les golfeurs de LIV ont été cloués – avec raison – au pilori de l’opinion publique cette semaine, c’est qu’on les a vus tels qu’ils sont : des mercenaires sans morale qui se soucient uniquement des billets verts. Peu importe qui signe le chèque.

Tant qu’à juger Phil Mickelson, Greg Norman, Dustin Johnson et Bryson DeChambeau haut et fort, on pourrait aussi profiter de l’occasion pour se regarder le nombril.

Malgré l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018, malgré les violations systématiques des droits de la personne, malgré la peine de mort, malgré la guerre au Yémen depuis 2015, malgré tout ça, le Canada et les autres pays du G7 n’ont jamais imposé de véritables sanctions économiques à l’Arabie saoudite.

Le Canada continue d’honorer son contrat de 15 milliards de dollars pour livrer des véhicules blindés à l’Arabie saoudite comme si de rien n’était. En 2021, le Canada a vendu 1,7 milliard de dollars en armes à l’Arabie saoudite, qui est son deuxième client militaire, après les États-Unis.

La communauté internationale ferme les yeux sur la situation en Arabie saoudite parce qu’elle a besoin de son pétrole (le pays est le deuxième producteur en importance, avec 11 % de la production mondiale).

En campagne électorale, Joe Biden disait qu’il cesserait de leur vendre des armes et qu’il traiterait ce pays en « paria ». Revirement de situation : Washington veut maintenant convaincre l’Arabie saoudite d’augmenter sa production de pétrole (dans l’espoir de voir le prix du pétrole diminuer), et le président Biden envisage d’y faire une visite officielle cet été. On n’a plus les parias qu’on avait.

Si on s’insurge que des golfeurs acceptent d’être des pions dans la stratégie géopolitique de l’Arabie saoudite, on devrait s’insurger au moins aussi fort qu’un pays comme le Canada continue d’y vendre des armes et des véhicules blindés.