À Ottawa, nos élus ne sont pas suffisamment protégés alors que les menaces à leur égard se multiplient. On joue avec le feu.

Les chiffres obtenus récemment à ce sujet par nos collègues du bureau de La Presse à Ottawa sont troublants : 26 menaces ont été faites contre Justin Trudeau et plusieurs ministres du gouvernement libéral entre le 5 février et le 23 mars.

Des ministres qui, faut-il le rappeler, n’ont pas de gardes du corps. Les chefs de parti non plus, d’ailleurs. Alors que les esprits s’échauffent.

Les manifestants qui ont assiégé Ottawa et perturbé la circulation ailleurs au Canada en début d’année montrent à quel point le contexte social n’est plus le même. Le discours aussi s’est transformé, il est plus hargneux. La situation, pour ce qui est de la sécurité, s’est envenimée.

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Seul le premier ministre bénéficie d’une protection digne de ce nom, en tout temps. C’est au moins ça de gagné. Mais dans les circonstances, ce n’est pas assez.

À Ottawa, on nous a même appris que certains députés disent avoir peur, dans des circonscriptions à l’extérieur du Québec, d’organiser des activités publiques avec leurs concitoyens.

On ne peut certainement pas leur reprocher de manquer de courage. Le climat s’est assombri. Les manifestants qui ont intimidé le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, lors d’un passage à Peterborough il y a dix jours en ont fourni une nouvelle preuve.

Ce que ça signifie, c’est qu’on a franchi un nouveau cap. Désormais, c’est aussi la santé de notre démocratie qui est menacée.

Ce n’est pas d’hier que les élus à Ottawa sont la cible de menaces, bien sûr. C’était aussi le cas à l’époque où Stephen Harper était premier ministre.

Yan Plante, chef de cabinet d’un des ministres de Stephen Harper, Denis Lebel, l’a souligné dans un texte rédigé pour L’actualité il y a quelques mois. Entre 2006 et 2015, il a vu « passer plusieurs menaces sous différentes formes ». Et ça l’« empêchait de bien dormir ».

Cet ancien stratège conservateur fait partie de ceux qui estiment que la situation actuelle est intenable. Il juge que les ministres fédéraux ainsi que les chefs des partis de l’opposition doivent être mieux protégés. Et qu’on pourrait aussi améliorer la sécurité des autres élus.

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Le gouvernement fédéral n’a pas à chercher bien loin pour trouver un modèle dont il pourrait s’inspirer. Il n’a qu’à jeter un coup d’œil… à Québec !

La sécurité des élus y est prise très au sérieux. Davantage qu’à Ottawa. La Sûreté du Québec s’occupe de protéger le premier ministre, alors que le ministère de la Sécurité publique fait la même chose pour les membres du Conseil des ministres « ainsi que d’autres personnes dont la sécurité est menacée », nous a-t-on expliqué. Enfin, la sécurité des députés relève de l’Assemblée nationale.

Si le Ministère ne commente pas publiquement les mesures en vigueur, il est de notoriété publique que les ministres et les chefs des partis de l’opposition sont accompagnés d’un garde du corps en tout temps. Ça devrait aussi être le cas à Ottawa.

Pour l’instant, ça ne l’est pas et ça donne parfois lieu à des situations aberrantes, comme celle rapportée l’an dernier par nos collègues Joël-Denis Bellavance et Mélanie Marquis, mettant en scène François-Philippe Champagne, ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie.

Ce dernier s’était présenté sans protection à une conférence de presse où se trouvaient des manifestants. Ce sont les gardes du corps de deux ministres du gouvernement québécois qui lui avaient offert leur soutien pour lui permettre de trouver un accès sécuritaire.

C’est gênant.

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Qu’attend-on, à Ottawa, pour remédier à cette situation qu’on laisse pourrir depuis trop longtemps ? Il est clair que l’idée de débourser une somme substantielle pour assurer la protection des ministres et des chefs des partis de l’opposition n’est pas un sujet rentable politiquement.

Mais ce n’est pas une excuse recevable quand on joue avec la vie des élus.

L’immobilisme reposerait aussi sur l’idée qu’offrir un garde du corps à un ministre aurait pour effet d’éloigner celui-ci de ses citoyens. Sérieusement ? Avez-vous l’impression que les ministres du gouvernement provincial sont moins accessibles et plus distants que leurs homologues fédéraux ?

Terminons sur une note positive : il y a de l’espoir. Dans la lettre de mandat du nouveau ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, on lui demande de « travailler avec le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités pour renforcer la sécurité des ministres et des parlementaires ».

On aurait voulu y voir trois autres mots : au plus vite !

Il y a une différence entre être alarmiste et faire preuve d’une saine prudence. L’ère de l’insouciance, à Ottawa, a assez duré.