S’il existait une solution simple au flot de demandeurs d’asile qui traversent par le chemin Roxham, elle aurait déjà été mise en place.

Fermer ce passage irrégulier de la Montérégie, comme le réclame François Legault ces jours-ci, serait comme placer une roche au milieu d’une rivière en espérant arrêter l’eau. Essayez, pour voir. Notre prédiction : l’eau contournera la roche, peu importe sa taille, et la rivière continuera de couler.

C’est donc à la source qu’il faut remonter, et cela implique des négociations ardues avec les Américains. Ottawa ferait bien d’accélérer ces discussions qui traînent en longueur – nous y reviendrons.

Mais en attendant, il y a une chose très simple que le gouvernement Trudeau pourrait faire pour rendre les choses plus faciles pour tout le monde : s’attaquer à la tristement célèbre bureaucratie de son ministère de l’Immigration et délivrer rapidement des permis de travail aux demandeurs d’asile.

Sur ce point, Québec a raison de s’impatienter.

Le gouvernement provincial affirme qu’il faut en moyenne de 10 à 11 mois avant qu’un demandeur d’asile puisse obtenir un permis de travail. Les avocats en immigration nous confirment que les processus sont interminables.

Selon nos informations, ce n’est pas la délivrance du permis de travail lui-même qui tarde, mais l’étape préalable visant à fournir le « document du demandeur d’asile ».

De tels délais nuisent à tout le monde. Ils placent les demandeurs d’asile dans une situation de dépendance qui retarde leur intégration sociale et économique.

Ils nous privent d’une main-d’œuvre plus nécessaire que jamais et dont la rareté a des impacts économiques négatifs réels. Les demandeurs d’asile ont des profils variés et il faut éviter de généraliser, mais beaucoup sont à même d’occuper les emplois exigeant peu de qualifications qui sont particulièrement difficiles à pourvoir actuellement.

Tant qu’à avoir ces gens chez nous, encourageons-les à travailler !

La lenteur du système fait aussi en sorte qu’il faut soutenir les demandeurs d’asile en attendant qu’ils puissent gagner leur vie.

Contrairement à ce qu’on lit souvent, c’est Ottawa qui assume les coûts liés à la santé et au logement des demandeurs d’asile. Mais Québec est en train de vérifier si le fédéral compense l’entièreté des frais déboursés par la province ou s’il y a un manque à gagner.

Le gouvernement Legault a aussi raison de soulever le fait que le Québec fournit beaucoup, beaucoup plus que sa part dans l’accueil des réfugiés qui entrent de manière irrégulière au pays. Depuis le début de l’année, la presque totalité des interceptions (7013 sur 7049) effectuées par la GRC ont été faites au Québec.

En clair, Roxham est devenu l’autoroute par laquelle ils entrent tous.

Selon le provincial, 72 % de ceux qui empruntent ce passage restent au Québec.

Sans mettre personne de force dans des autocars, il y aurait certainement moyen de faciliter leur répartition dans d’autres provinces en y déployant des structures d’accueil. Ne serait-ce que politiquement, cela contribuerait à réduire la tension.

Cela dit, évitons d’être alarmistes. Une centaine de personnes par jour qui traversent à Roxham, ça peut paraître beaucoup. Mais le Québec n’est quand même pas la Pologne, la Turquie, le Liban ou la Colombie, des pays qui savent ce que sont de véritables vagues de réfugiés.

En parallèle, il faudra aussi qu’Ottawa s’attaque aux racines du problème. On sait que c’est l’Entente sur les tiers pays sûrs signée entre le Canada et les États-Unis qui pousse les demandeurs d’asile à passer à côté des postes frontaliers. S’ils s’y présentaient, ils seraient automatiquement refoulés.

Nous l’avons déjà écrit : cette situation n’est idéale pour personne et revient à faire entrer ses invités par la fenêtre au lieu de les accueillir à la porte.

Lisez notre éditorial à ce sujet

Ottawa mène des négociations avec Washington pour revoir cette entente et retirer cette incitation à contourner les postes-frontière. Cela peut se faire soit en resserrant les conditions à Roxham, soit en autorisant les admissions aux postes habituels.

Mais les négociations sont longues. On comprend évidemment que l’administration Biden est loin d’en faire une priorité. Le flot de migrants, après tout, va des États-Unis vers le Canada, et non l’inverse.

Mais c’est le rôle d’Ottawa de convaincre son partenaire que la situation a assez duré et de mettre la pression nécessaire pour que l’immigration passe de nouveau par les canaux officiels.

Devant ce qui se passe au chemin Roxham, Ottawa a donc des devoirs à faire tant à court qu’à plus long terme. Sinon, chaque printemps est condamné à ramener les mêmes questions et les mêmes débats.