Pourquoi inciter les gens à entrer par la fenêtre quand il y a une porte juste à côté ?

C’est la question qu’on doit se poser en regardant ce qui se passe au chemin Roxham, cette voie d’entrée des demandeurs d’asile vers le Canada.

Une question qui repose sur des fondements que la Cour suprême a accepté d’étudier jeudi, ce qui permet d’espérer un déblocage.

Résumons. En théorie, le chemin Roxham est une voie d’entrée irrégulière pour les migrants qui veulent gagner le Canada. En pratique, il l’est de moins en moins.

C’est devenu très clair il y a quelques semaines, quand le chemin a été « rouvert » après avoir été fermé pendant la pandémie. Ottawa a en effet levé l’interdiction de l’emprunter. Il est quand même étrange que nos autorités ouvrent et ferment ainsi une voie irrégulière comme si elle était officielle.

Notre collègue Vincent Larouche nous a également appris cette semaine que des contrats de gré à gré ont été accordés dans ce coin de la Montérégie à un généreux donateur du Parti libéral du Canada, qui loue ses terres au gouvernement pour que celui-ci puisse y accueillir les migrants et les fonctionnaires qui les reçoivent.

Lisez l’article de Vincent Larouche

Il ne manque pas d’éléments troublants dans cette histoire, mais nous en retenons un : Ottawa vient de signer un nouveau bail de cinq ans avec cet homme. Cela suggère que le gouvernement s’attend à ce que la situation du chemin Roxham perdure encore pendant plusieurs années.

Cela suscite des questions.

Oui, le chemin Roxham est une façon humaine d’accueillir les demandeurs d’asile dans un contexte compliqué. Il est certes préférable de recevoir ces gens de façon organisée plutôt que de dresser des barbelés sur leur route et de les obliger à passer par les bois.

Il reste que ce poste frontalier informel est devenu le décor permanent d’une vaste pièce de théâtre. Une pièce dans laquelle chacun a appris son rôle. Les migrants se présentent. Des agents de la GRC les préviennent qu’ils seront arrêtés s’ils poursuivent leur chemin. Les migrants continuent, sont arrêtés et conduits vers des bureaux de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Si les demandeurs d’asile se présentent à Roxham plutôt qu’au véritable poste-frontière de Saint-Bernard-de-Lacolle situé tout près, c’est à cause de l’entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis. Elle précise qu’un demandeur d’asile doit présenter sa demande dans le premier pays où il pose les pieds.

Les migrants qui font une demande officielle à la frontière canadienne à partir des États-Unis sont ainsi automatiquement refoulés. Certains se retrouvent même ensuite emprisonnés sur le sol américain, ce qui est absolument choquant. Étonnamment, lorsqu’ils passent plutôt par le chemin Roxham, la procédure est complètement différente. Les lois canadiennes et internationales obligent alors les autorités à étudier leur demande d’asile.

Il y a donc un incitatif clair à passer par Roxham. Cela montre bien que l’entente provoque des effets pervers et doit être revue.

La fameuse entente a été contestée par le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et d’autres groupes. Ils ont gagné la première manche en Cour fédérale, mais ont été déboutés en Cour d’appel, essentiellement pour des raisons techniques. La Cour suprême vient d’annoncer qu’elle accepte de les entendre à son tour.

Ces poursuites donnent l’impression qu’Ottawa défend bec et ongles l’entente sur les tiers pays sûrs. Dans les faits, le gouvernement veut aussi la revoir. Mais il veut le faire de façon bilatérale avec les Américains. Et comme c’est le Canada qui a un problème avec le chemin Roxham et qui est en demande, il faut convaincre Washington de s’asseoir à la table.

Tout le défi est de trouver une solution qui ne provoquerait pas un afflux de migrants au Canada en provenance des États-Unis, mais qui respecterait leur droit d’être traités justement. Dans tous les cas, c’est par les canaux officiels qu’on y parviendra. Pas avec des postes-frontière irréguliers qui prennent la place des vrais.

Tendre un tabouret aux gens qui entrent par la fenêtre, c’est bien. Les accueillir à la porte, ce serait plus digne et plus pratique pour tout le monde.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion