À écouter le polémiste d’extrême droite Éric Zemmour, la France n’est pas loin de l’apocalypse.

Le pays dont les « enfants sont nostalgiques sans même l’avoir connu » serait « en train de disparaître », a-t-il déclamé sur un ton dramatique dans le discours officialisant sa candidature à la présidence, la semaine dernière.

Les Français « méprisés par les puissants, les universitaires, les élites » seraient devenus des « exilés de l’intérieur » qui seraient tous habités par un « sentiment de dépossession », martèle-t-il dans sa vidéo truffée d’images violentes qui a d’ailleurs été interdite aux mineurs par YouTube.

Selon lui, l’immigration aggrave tous les problèmes. Et il est temps de reprendre le pouvoir « aux minorités qui ne cessent de tyranniser la majorité », ajoute celui qui a déjà été condamné pour « provocation à la discrimination raciale ».

Pas de doute, cette nouvelle incarnation de l’extrême droite française donne froid dans le dos. Elle semble bien loin du climat politique au Canada et au Québec, franchement plus consensuel.

Mais soyons vigilants. Comme les objets dans notre rétroviseur, Éric Zemmour est peut-être plus près de nous qu’il n’y paraît.

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À première vue, le Canada semble épargné par la montée de l’extrême droite.

Même le vent de droite qui avait soufflé sur les provinces, avec l’arrivée de Jason Kenney en Alberta et de Doug Ford en Ontario notamment, a perdu de son souffle depuis le début de la pandémie, qui a remis à l’honneur l’interventionnisme de l’État.

D’ailleurs, aux dernières élections fédérales, tous les partis politiques ont fait un pas à gauche, tant Erin O’Toole, qui se le fait maintenant reprocher par son aile plus conservatrice, que Justin Trudeau, qui cherchait à séduire l’électorat néo-démocrate.

À Québec, le Parti libéral a entrepris un virage écologique lors de son congrès du week-end dernier. En quête d’une nouvelle identité, il a même présenté des propositions encore plus audacieuses que celles des solidaires, à certains égards.

Malgré tout, la fragmentation des partis politiques traditionnels, ici comme ailleurs, reste un terreau fertile à l’émergence de l’extrême droite. Face au cynisme de la population, les grands partis perdent de leur attrait. Cette désaffection ouvre la voie à des politiciens qui attirent les caméras avec des discours fracassants… comme Maxime Bernier.

Même s’il a obtenu 5 % des voix au dernier scrutin, il est rassurant de constater que son Parti populaire n’a fait élire aucun député. Il faut dire que notre mode de scrutin est impitoyable pour les petits partis politiques qui n’arrivent pas à concentrer leurs votes.

Mais qu’en sera-t-il d’Éric Duhaime ? Même si son Parti conservateur du Québec ne dépasse pas 7 % des intentions de vote à l’échelle provinciale, il est préoccupant de constater qu’il se classe en deuxième position dans les sondages, avec 18 % des intentions de vote dans la région de Québec.

Il reste tout de même loin derrière la Coalition avenir Québec, qui contrôle bien le centre droit de la glace.

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N’empêche, ces groupes extraparlementaires ont une incidence dans l’arène politique, même s’ils n’ont pas d’élus. Les énormités qu’ils lancent percolent dans la société et peuvent légitimer les idées racistes ou conspirationnistes du citoyen moyen.

Ces politiciens peuvent donc influencer la partie, même s’ils ne sont pas directement sur l’échiquier parlementaire.

Prenez la France. Éric Zemmour a du mal à entrer dans son nouveau costume de politicien. Les intentions de vote à son égard ont chuté de 20 % à 13 % depuis le lancement de sa campagne.

Il ne s’est pas aidé en tenant des propos indignes et provocateurs, directement en face du Bataclan, où 90 personnes sont mortes, le jour même de la commémoration des attaques du 13-Novembre.

L’ancien animateur de CNews a aussi dégoûté des électeurs en répondant par un doigt d’honneur – « bien profond », a-t-il précisé – à une passante qui lui avait fait le même geste. Chic, n’est-ce pas ?

Mais même s’il ne passe pas au deuxième tour du scrutin, Éric Zemmour aura mis à l’ordre du jour des thèmes qui pourraient favoriser Marine Le Pen, candidate d’extrême droite de longue date qui semble tout à coup plus présentable, en comparaison.

Anxiété identitaire, islamophobie, protectionnisme… Le Canada et le Québec en particulier ne sont pas imperméables à ces thèmes qui clivent nos sociétés depuis les attentats du 11-Septembre.

Non, le Canada n’a pas le même passé colonial que celui de la France et d’autres pays européens qui alimente la dissension. De par sa situation géographique, il n’est pas non plus sur la première ligne des vagues de migrants comme l’Europe. Et le consensus entourant le multiculturalisme y est beaucoup plus solide, sauf au Québec, où le discours de certains intellectuels nourrit les tensions.

Mais il ne faut jamais dire jamais. Avant l’élection de Trump, avant la victoire du Brexit, tous auraient pensé que c’était impossible. Le Canada n’est pas immunisé contre le populisme et la fracture sociale qui ébranlent tant de pays.

Gardons donc les yeux sur le rétroviseur.