On sait déjà que dans l’expression « contrôle des armes à feu », aux États-Unis, l’utilisation du mot « contrôle » est quasiment grotesque tant le laxisme est la norme.

Certains États tentent péniblement de réglementer la possession et le port d’armes à feu, mais en général, cet encadrement ressemble à une passoire dans l’ensemble du pays.

Or, soyez prévenu, on verra peut-être apparaître de nouveaux trous dans cette passoire au cours des prochains mois. Gracieuseté de la Cour suprême des États-Unis.

Explications : le plus haut tribunal du pays a décidé de se pencher sur une loi de l’État de New York qui empêche la quasi-totalité des citoyens de se déplacer, à l’extérieur de leur domicile, avec une arme dissimulée.

Cette loi permet certaines exceptions. Ceux qui peuvent prouver qu’ils ont une raison valable (« proper cause ») sont en mesure d’obtenir un permis spécial. On parle ici, par exemple, de policiers à la retraite ou de juges. En 2017 et 2018, près de 38 000 permis de ce type ont été délivrés dans l’État de New York. À peu près 20 000 par année.

Ce n’est quand même pas négligeable. Mais ce n’est bien sûr pas suffisant pour l’influente National Rifle Association (NRA), organisation qui a décidé de soutenir les deux hommes qui contestent cette loi.

On invoque ici, comme c’est si souvent le cas, le deuxième amendement à la Constitution, qui protège le droit des citoyens de posséder une arme à feu.

PHOTO BRYAN R. SMITH, AGENCE FRANCE-PRESSE

Armes confisquées par la police de la Ville de New York

Logique tordue

La Cour suprême a entendu la cause au début du mois de novembre et doit rendre sa décision d’ici le mois de juin 2022.

Mais déjà, les spéculations vont bon train… Plusieurs journalistes et analystes ont noté que des juges conservateurs ont semblé estimer que la loi de l’État de New York va trop loin.

Parmi les déclarations qui ont fait couler le plus d’encre, celle du juge Samuel Alito (nommé par George W. Bush), qui semble ne pas comprendre pourquoi on empêcherait des citoyens ordinaires (il a notamment cité les infirmières et les plongeurs en restauration) de porter une arme lors de leurs déplacements.

Comment pourraient-ils se défendre contre d’éventuels criminels, après tout ?

Eh, misère !

Comme si, pour sauver des vies, il fallait davantage d’armes, disséminées à davantage d’endroits dans tout le pays.

Un peu comme si, en réaction à la hausse de la violence par armes à feu à Montréal cette année, on estimait qu’une des solutions viables est d’armer davantage de citoyens.

La logique tordue de nos voisins du Sud mène souvent à de nouveaux relâchements en matière de contrôle des armes à feu – la NRA continue chaque année de pousser les États dans cette direction.

Elle a aussi un effet réel de ce côté-ci de la frontière.

Le chef de la police de Toronto a estimé récemment que près de 80 % des armes utilisées dans des évènements violents, dans sa métropole, provenaient des États-Unis.

« Le plus gros problème que nous avons dans notre ville, c’est le volume d’armes qui proviennent de l’autre côté de la frontière », a déclaré publiquement James Ramer, le 5 novembre dernier.

Il n’y a pas de raison de croire que la situation est très différente à Montréal.

Toujours plus d’armes

L’an dernier, il y a eu 43 000 morts liées aux armes à feu sur le sol américain (dont quelque 24 000 suicides). Un bilan auquel il faut ajouter tout près de 40 000 blessés par balle.

Et les ventes d’armes, elles ?

Vous l’aurez deviné : elles ont bondi.

Une hausse de 64 % en 2020 par rapport à l’année précédente, selon une analyse du Washington Post. Au total, quelque 23 millions d’armes à feu ont été achetées aux États-Unis en l’espace de 12 mois.

Ces armes tuent à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières américaines. Les États-Unis exportent la violence par arme à feu.

Mais toutes ces statistiques alarmantes ne convaincront pas nécessairement une majorité de juges de la Cour suprême du bien-fondé de lois comme celle adoptée par l’État de New York (des restrictions similaires sont en vigueur dans sept autres États, dont la Californie, qui compte à elle seule plus d’habitants que le Canada).

Il est important de rappeler que l’équilibre du plus haut tribunal des États-Unis a été modifié par Donald Trump, qui a pu y nommer trois juges. On y retrouve désormais six juges sélectionnés par des présidents républicains.

La situation est un peu plus rose pour les progressistes au Congrès américain, dont les démocrates contrôlent les deux chambres depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche.

Mais leur majorité est si faible qu’ils ne seraient pas en mesure de faire adopter une réforme substantielle du contrôle des armes à feu, qui permettrait de boucher certains des trous de la passoire.

Un trop grand nombre de politiciens craignent, s’ils osaient s’attaquer à ce problème de société, la colère des propriétaires d’armes à feu. Leur avenir politique passe avant tout.

Plusieurs éléments fondamentaux expliquent donc la fuite en avant de certaines institutions du pays sur la question des armes à feu.

Cela ne la rend pourtant pas moins indécente.

Et cela nous mène forcément à un constat aussi simple que navrant : les États-Unis sont malades de leurs armes à feu et ça ne semble pas vouloir s’améliorer. C’est une mauvaise nouvelle pour eux… et pour nous.