Certains craignaient que nos ados ne se transforment en zombies, le joint aux lèvres, les yeux rougis et le cerveau en hibernation à longueur d’année.

Finalement, trois ans après la légalisation du pot, ces craintes ne se sont pas avérées. Même avec une pandémie qui aurait pu exacerber les problèmes, les données de l’Institut de la statistique du Québec montrent que les jeunes Québécois de 15 à 17 ans ont réduit leur consommation de cannabis de 2018 à 2021.

Étonnamment, la hausse de consommation est plutôt venue des adultes. Et notamment… des plus âgés. Beaucoup d’entre eux utilisent les succursales de la SQDC comme des pharmacies et consomment des produits du cannabis dans l’espoir de soigner toutes sortes de bobos.

Consultez les chiffres de l’Institut de la statistique du Québec

Ces frontières qui se mélangent entre usages récréatif et médicinal montrent le besoin criant de mieux connaître les effets de cette substance sur le corps et l’esprit.

Les scientifiques ont des projets de recherche plein leurs cartons. Des fonds ont été débloqués pour les soutenir. Mais malgré les pressions, Santé Canada continue de créer un goulot d’étranglement en se montrant trop pointilleux pour l’approbation des demandes.

Ça doit changer.

Entre buzz et soulagement

Trois ans après la légalisation, ce qui se dit sur le cannabis, y compris dans les SQDC, relève encore majoritairement du savoir informel plutôt que de la science.

Les Québécois ont certes accès à des informations cruciales sur les produits qu’ils consomment. Notamment les taux de THC, le principal agent psychoactif du pot, et de CBD, autre cannabinoïde intrigant auquel on prête toutes sortes de vertus.

En soi, connaître le taux de THC est une révolution. Avant cela, fumer du pot était l’équivalent d’avaler une bouteille d’alcool sans savoir si elle contenait de la bière ou du fort. Bonne chance pour bien gérer votre consommation.

Le taux de CBD, lui, est plus difficile à interpréter. Les conseillers de la SQDC envoient le message qu’il modère les effets du THC et recommandent un ratio THC/CBD plus bas à ceux qui visent un voyage psychique moins percutant.

Ça a l’avantage d’être simple, et des indices scientifiques vont dans cette direction. Mais d’autres suggèrent qu’à certaines concentrations, le CBD pourrait au contraire multiplier les effets du THC. D’où la nécessité d’en savoir plus.

Surtout, on prête au CBD toutes sortes de vertus médicinales. Il réduirait l’angoisse, l’inflammation, la douleur. Cela suscite une demande. Depuis la légalisation, la proportion de Québécois âgés de 55 ans et plus qui consomment du pot a doublé (de 4 % à 8 %). Un sondage mené par l’Association pour la santé publique du Québec montre que ces consommateurs plus âgés ne cherchent pas nécessairement le buzz, mais bien un soulagement.

Le même sondage montre que des consommateurs de tous âges utilisent aussi le pot pour diminuer leur stress, gérer leur anxiété ou mieux dormir. Cette automédication est toutefois basée sur des connaissances très imparfaites, se fait la plupart du temps sans supervision médicale et à des dosages complètement aléatoires.

Une fois de plus, cela met en lumière un besoin de connaissances. Au Québec, une partie des revenus de la vente de cannabis sont versés au Fonds de prévention et de recherche en matière de cannabis. Cette année, 18 millions de dollars ont ainsi été dépensés en prévention et 3,6 millions, en recherche.

Quand on pense que ces sommes allaient auparavant dans les poches du crime organisé, on voit là l’un des grands avantages de la légalisation.

On sent toutefois le besoin d’avoir un chef d’orchestre qui définirait les priorités de recherche et orienterait les fonds. Le danger du saupoudrage est réel. Dix études cliniques comptant chacune une poignée de participants donneront dix résultats ambigus. Pour le même prix, on pourrait en faire une plus grande, susceptible d’apporter de vraies réponses.

La pandémie a retardé les choses, mais le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec dit s’organiser pour jouer ce rôle de coordination. Tant mieux.

En attendant, on souhaite voir Santé Canada lâcher la paperasse et autoriser les projets de recherche sur le cannabis. Nous avons déjà, dans ces écrans, dénoncé l’attitude « kafkaïenne » du ministère fédéral.

Lisez notre éditorial « Santé Canada, le cannabis et… Kafka ! »

Depuis, des changements dans le processus des demandes ont été annoncés. Mais sur le terrain, il semble que ce soit encore trop long. Les chercheurs qui veulent administrer du cannabis à des participants se font demander par Santé Canada des informations… que même les producteurs ne possèdent pas !

Le Canada a compris que placer des barrières devant les consommateurs de pot ne mène à rien. Il doit maintenant se rendre compte que mettre des bâtons dans les roues des chercheurs est encore plus absurde et contre-productif.