En 2007, des représentants du milieu des affaires, du monde politique et de la culture se sont réunis dans le cadre des Rendez-vous Montréal, métropole culturelle. Cette rencontre avait permis d’établir une feuille de route qui encourageait tous les secteurs de la société civile montréalaise à intégrer la culture dans leur réflexion et leurs projets de développement.

La conjoncture était parfaite : il existait une véritable alliance entre l’instigateur du projet, Simon Brault, alors à la tête de Culture Montréal, et Isabelle Hudon, qui dirigeait la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Ce tandem avait l’oreille du maire de l’époque, Gérald Tremblay. Le résultat de ce brassage d’idées avait entre autres accouché du Quartier des spectacles, un geste culturel fort qui a contribué à attirer l’ONF, les Grands Ballets, etc., et à transformer ce coin de la ville, devenu depuis un lieu incontournable de la vie culturelle à Montréal – et au Québec.

Nous sommes 14 ans plus tard. La plateforme Montréal, métropole culturelle existe toujours et a accouché d’un plan stratégique pour la prochaine décennie. Et partout – au Conseil des arts de Montréal, à Culture Montréal, dans le réseau des bibliothèques et des maisons de la culture –, des gens allumés travaillent fort pour défendre le dossier de la culture à Montréal.

Mais il manque un chef d’orchestre, un « porteur de ballon », pour reprendre l’expression consacrée. Quelqu’un qui aurait la culture tatouée sur le cœur et qui, au nom de Montréal, défendrait ce dossier partout, tant à Québec qu’à Ottawa, ainsi que dans chaque décision que prend la Ville.

Pour l’instant, cette personne n’apparaît pas sur notre radar.

On en a eu une preuve supplémentaire lundi dernier lorsque les candidats à la mairie de Montréal Denis Coderre et Valérie Plante ont présenté leurs engagements à l’invitation de l’organisme Culture Montréal.

Denis Coderre – qui consacre un chapitre de son livre-programme à la culture – en propose une vision assez classique. À ses yeux, il s’agit d’abord d’une industrie et il faut s’assurer que les artistes peuvent bien en vivre. Sa proposition de leur accorder le statut d’intermittents va dans ce sens (il prévoit entre autres un statut de salarié plutôt qu’une rémunération à cachets, moins prévisible). Le problème, c’est que cette décision ne relève pas de la Ville.

Pour le reste, M. Coderre montre une préférence pour les grands projets – il a lancé l’idée d’un lieu inspiré du CENTQUATRE-PARIS, un incubateur culturel qui regroupe sous le même toit des activités, des résidences d’artistes, des salles de spectacle et d’exposition, des start-ups, etc. – et les évènements signature pour accroître la visibilité de la métropole.

De son côté, Valérie Plante mise sur la mobilité et le développement durable, qui feront de Montréal, espère-t-elle, une ville attirante pour les artistes qui voudront s’y installer. La mairesse reconnaît aussi l’importance de l’offre culturelle de proximité et des ateliers d’artistes.

Les deux candidats ont fait leurs devoirs et cochent toutes les bonnes cases : l’importance du patrimoine, la mise en valeur de la culture autochtone, le rôle primordial du réseau des bibliothèques, etc.

Leurs approches, quoique fort différentes, ne sont pas inintéressantes.

Mais on ne sent ni chez l’un ni chez l’autre une véritable vision de la culture, une volonté de la placer au cœur des décisions qui touchent la Ville. Or, c’est ce « réflexe culture » qui distingue les vraies métropoles culturelles des autres villes.

Pensons à Lyon, Glasgow ou Paris, qui ont toutes, par le passé, utilisé la culture comme levier de développement économique et social, comme vecteur d’intégration dans leur communauté.

Montréal gagnerait à développer davantage ce « réflexe culture » pour répondre aux formidables défis qui l’attendent au cours de prochaines années.

Prenons les deux projets de transport public qui font le plus parler ces jours-ci : le REV et le REM. Le Réseau express vélo et le Réseau express métropolitain vont modifier Montréal en profondeur. Ils auront un impact déterminant sur l’aménagement du territoire. Le gouvernement du Québec et CDPQ Infra ont annoncé un programme d’art public pour le REM, mais la Ville doit aussi penser à son impact sur l’offre culturelle montréalaise. Aucun des candidats n’en a fait mention.

Même chose lorsqu’on parle du centre-ville, là où se concentre une grande partie de l’offre culturelle à Montréal. Il y a tout un défi qui attend ce secteur après la pandémie. Avec de plus en plus de gens en télétravail, la demande risque de se déplacer dans les quartiers et en périphérie. Quel est le plan ? Encore là, silence radio.

Enfin, les deux candidats ont dans leurs cartons une vision du développement de l’Est de Montréal, qu’ils voient tous les deux comme le nouvel eldorado de la métropole. Denis Coderre rêve d’une nouvelle Silicon Valley, alors que Valérie Plante aimerait en faire un nouveau Mile End, quartier qui s’est développé avec l’arrivée d’Ubisoft, et qui a attiré toute une classe créative dans ce coin de la ville.

Dans les deux cas, il semble que la culture arrive à la fin du processus, comme conséquence d’un développement plutôt que comme un moteur.

Or, la culture, ce n’est pas une poignée de confettis qu’on lance sur un projet une fois qu’il est terminé pour faire beau.

C’est une donnée qui doit être intégrée à l’étape de la planification d’un projet de développement. C’est ça, le « réflexe culture ». Et pour l’instant, il fait cruellement défaut.