D’abord, il faut célébrer.

Après plus de 1000 jours en détention en Chine, les deux Michael sont de retour.

C’est une victoire diplomatique pour le Canada.

Ce fut trop long. Inacceptablement long. Mais le dénouement est satisfaisant.

En revanche, personne ne pourra rattraper les trois années perdues par ces deux hommes.

Personne ne pourra leur faire oublier leur calvaire. À commencer par les conditions éprouvantes dans lesquelles ils étaient maintenus.

Des conditions à des années-lumière de celles de Meng Wanzhou… qui elle-même avait décrié ses conditions de vie, confinée qu’elle était dans une résidence d’une valeur de plus de 13 millions de dollars à Vancouver.

Ce que Michael Spavor et Michael Kovrig ont vécu est par ailleurs digne d’un roman de Kafka.

Ils n’étaient coupables de rien, sauf d’avoir été au mauvais endroit (en Chine), au mauvais moment.

Justice a été rendue. Enfin !

PHOTO FRANK GUNN, LA PRESSE CANADIENNE

Michael Kovrig a retrouvé ses proches à son arrivée à Toronto, samedi.

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Ensuite, il faut continuer de s’indigner.

Si l’emprisonnement des deux Michael n’avait vraiment rien à voir avec la procédure d’extradition concernant Meng Wanzhou, comment se fait-il que Pékin ait autorisé leur libération aussi rapidement ?

Nier le lien entre les deux affaires, comme le faisait la Chine, était une fourberie.

Ceux qui en doutaient encore n’ont désormais plus d’autre choix que d’en convenir.

Il s’agissait de représailles, en bonne et due forme.

Les autorités chinoises ont fait les frais de la politique étrangère inepte de Donald Trump. Notamment de la guerre commerciale qu’il menait contre Pékin. Elles étaient en colère, prêtes à tout pour rapatrier Meng Wanzhou.

Mais la diplomatie des otages est une pratique odieuse et inadmissible.

L’amitié entre nos deux pays a été sabotée.

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Enfin, il faut songer à l’attitude que nous devrons adopter face à Pékin maintenant que cette crise est résolue.

« Il va y avoir beaucoup de temps pour des analyses et des réflexions », a déclaré Justin Trudeau vendredi soir, quand un journaliste lui a demandé si cette crise avait modifié sa perception de l’État chinois.

En attendant ses conclusions, permettez-nous d’offrir quelques pistes de réflexion.

Dans nos relations avec la Chine, rien ne peut plus être comme avant.

Penser le contraire serait pécher par excès de naïveté (ce que le gouvernement Trudeau a fait quant à nos relations avec la Chine à son arrivée au pouvoir en 2015 ; il a vite déchanté).

D’autant que cette crise nous a appris deux ou trois choses sur la Chine d’aujourd’hui.

Le pays a changé. Il ne cache plus sa puissance. Il gonfle ses muscles et ne connaît maintenant trop souvent qu’une seule loi : celle du plus fort.

On ne peut plus, par ailleurs, lui faire confiance.

Le régime de Xi Jinping a décidé qu’il allait lutter pour imposer son modèle au reste du monde et affaiblir celui des démocraties libérales comme la nôtre.

Et il n’hésitera pas à s’en prendre à tous ceux qui se trouvent en travers de sa route.

Les diplomates chinois à l’étranger ont été qualifiés, en Chine, avec fierté, de loups combattants. Ils attaquent tous ceux qui ne font pas les quatre volontés de Pékin.

Les ambitions de la Chine n’ont plus de limites ni de frontières.

Loin de nous l’idée de plaider pour une guerre froide avec Pékin. La coopération, sur plusieurs enjeux – de la lutte contre la COVID-19 aux changements climatiques –, est à privilégier. Il importe de conserver de bonnes relations avec le pays.

Mais pas à n’importe quel prix.

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Le retour des deux Michael au Canada et celui de Meng Wanzhou en Chine nous donnent l’occasion de relancer la relation avec Pékin.

Pas question, toutefois, de remettre le compteur à zéro.

Le mot d’ordre devrait être de faire preuve de plus de fermeté face à la Chine.

En général, mais aussi dans des dossiers en particulier. Face à ses tentatives d’ingérence sur le sol canadien, par exemple, ou aux ambitions du géant Huawei, qui rêve d’avoir accès à nos infrastructures 5G.

Préserver les alliances faites en réaction à l’emprisonnement des deux Michael va aussi être crucial. Elles ont notamment permis l’adoption d’une convention sur les détentions arbitraires, qu’il faudrait maintenant rendre contraignante.

Seul, face à la Chine, le Canada ne fait pas le poids. D’où l’importance de ne pas cesser de mobiliser nos alliés, même si cette crise est terminée. Soyons réalistes, il y en aura d’autres.

Faire comme si de rien n’était, face à l’humiliation qu’on vient de subir, serait l’équivalent de tendre l’autre joue.

Ce serait, autrement dit, un embarrassant aveu de faiblesse qui prouverait à la Chine qu’elle peut s’en prendre à nous sans en payer le prix.