Il ne suffit pas de sortir un chéquier pour faire passer à 2 % le pourcentage du PIB canadien consacré à la défense. L’atteinte d’un tel objectif soulève de nombreuses questions. En voici quatre.

Priorité ?

« C’est sûr que cela entraînerait des choix budgétaires très différents quand on regarde les investissements qu’on fait actuellement, si on les mesure aux investissements pour la filière batterie, le programme de soins dentaires [et le possible programme] d’assurance médicaments », énonce le professeur Justin Massie, aussi directeur du département de science politique de l’UQAM. « Cela nécessiterait un rééquilibrage de tous les portfolios du gouvernement », abonde Anessa Kimball. Dans le budget 2023-2024, le ministère de la Défense nationale a eu droit à des investissements de 26,5 milliards, ce qui représente environ 6,1 % du budget principal des dépenses, donc le deuxième en importance au fédéral. Le prochain budget de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, est attendu quelque part en avril.

Rapatrier ?

La Norvège le fait avec l’artillerie, la Suède avec les avions de chasse, l’Allemagne avec les chars d’assaut. « Plutôt que d’investir à l’étranger, ce que le Canada fait souvent avec ses acquisitions militaires, ils ont décidé d’investir dans des équipements produits chez eux, ce qui fait que l’argent est dépensé, oui, mais dans le développement économique, d’emplois et de base technologique et industrielle nationale », remarque Justin Massie. L’expertise canadienne en matière de défense est pourtant loin d’être déficiente : construction de véhicules blindés, intelligence artificielle, aéronautique. « Ce genre de technologie aéronautique, dont les drones, c’est l’avenir, s’enthousiasme le politologue. Il y a là une niche, d’autant plus qu’on a besoin de surveiller davantage le territoire arctique canadien. »

Volonté ?

À des représentants de l’OTAN, derrière des portes closes, Justin Trudeau aurait déclaré que le Canada n’atteindrait jamais la cible de 2 %, selon ce qu’a rapporté en avril dernier le Washington Post⁠1, sur la foi d’un document secret du Pentagone. Jamais le bureau du premier ministre n’a commenté cette fuite, pas plus qu’il n’a fourni de réaction à un éditorial du Wall Street Journal2 qui accusait Ottawa d’être un « passager clandestin » au sein de l’alliance transatlantique. « La croissance des dépenses continuera », a assuré Diana Ebadi, porte-parole du ministre de la Défense, Bill Blair, sans fournir d’échéancier sur l’atteinte de la cible. « Le Canada a le septième budget de défense parmi les 31 membres de l’Alliance. Les dépenses militaires ont augmenté d’année en année sous notre gouvernement », a-t-elle ajouté.

Comptabilité ?

PHOTO ERIK LUNTANG, TIRÉE DU SITE WEB DE L’OTAN

Reçu par le premier ministre Justin Trudeau et la délégation canadienne, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg s’est rendu à Cambridge Bay, dans le Nunavut, visitant notamment une station de radars du NORAD, en août 2022.

Le gouvernement doit travailler dans les coulisses pour parvenir à faire admettre dans le calcul certaines dépenses en lien avec la défense, soulève Anessa Kimball. « Il faut parler avec nos alliés pour voir si le développement de l’infrastructure et de la technologie dans le Grand Nord, ça peut compter. Ça représente des milliards de dollars. » Le voyage de Jens Stoltenberg dans l’Arctique canadien à l’été 2022 – première incursion pour un secrétaire général de l’OTAN – témoigne de l’importance que revêt désormais la région. « Sincèrement, il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre sur le plan de la comptabilité, et je ne pense pas que la différence serait énorme », argue toutefois Kerry Buck. Même son de cloche du côté de David Perry, de l’Institut canadien des affaires mondiales. « Le travail a déjà été fait il y a quelques années, et il a mené à une augmentation de 0,2 % du PIB », relève-t-il. Et par ailleurs, « les alliés ne s’attendent pas à ce que nous fassions des exercices de comptabilité créative », mais bien que les dépenses croissent, indique le président du groupe de réflexion militaire.

1. Lisez l’article du Washington Post (en anglais ; abonnement requis) 2. Lisez l’éditorial du Wall Street Journal (en anglais ; abonnement requis)