(Ottawa) De Washington à Berlin en passant par Londres et Ottawa, la réponse a été la même : non. Non, il n’est pas question de déployer des troupes de combat en Ukraine – un scénario évoqué lundi par le président français, Emmanuel Macron, qui a des allures de « signal d’alarme », juge une spécialiste.
Au Canada, le cabinet du ministre de la Défense nationale du Canada, Bill Blair, a été sans équivoque, mardi.
« Nous continuerons à fournir l’aide militaire dont l’Ukraine a besoin, mais en tant que membre de l’OTAN, le Canada n’a pas l’intention de déployer des troupes de combat en Ukraine », a assuré son attachée de presse, Diana Ebadi, dans un courriel.
Le ministre Blair figurait parmi les participants à la conférence de soutien à l’Ukraine qui a été organisée par le président français, Emmanuel Macron, à l’Élysée.
C’est à cette occasion que le chef d’État a formulé des propos qui ont provoqué une onde de choc dans les capitales des pays de l’OTAN.
Devant ses invités, tout en convenant qu’il n’y avait « pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol », Emmanuel Macron a argué que rien n’était exclu.
« Beaucoup de gens qui disent ‟jamais, jamais” aujourd’hui étaient les mêmes qui disaient ‟jamais des tanks, jamais des avions, jamais des missiles à longue portée” il y a deux ans », a-t-il aussi affirmé.
La Maison-Blanche n’a pas tardé à fermer la porte.
« Le président [Joe] Biden a été clair sur le fait que les États-Unis n’enverront pas de soldats combattre en Ukraine », a déclaré mardi Adrienne Watson, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.
Même fin de non-recevoir du côté d’autres alliés de l’OTAN comme l’Allemagne, le Royaume-Uni – Londres a cependant du personnel militaire médical sur place – ou encore la Pologne.
De son côté, le Kremlin a fait valoir qu’il n’était « absolument pas dans l’intérêt de ces pays » d’envoyer des soldats en Ukraine.
Et le simple fait d’évoquer cette possibilité constituait « un nouvel élément très important » dans le conflit, a ajouté le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov.
À l’inverse, la présidence ukrainienne a estimé que ces déclarations faisaient « passer la discussion à un autre niveau », tout en reconnaissant qu’il ne s’agissait, pour l’heure, que d’une « une proposition de discussion ».
De l’argent, des armes, mais pas de troupes de combat
Le Canada participe à l’effort de guerre ukrainien en fournissant de l’aide financière et militaire à Kyiv.
Il apporte aussi sa contribution en formant les soldats ukrainiens dans le cadre de l’opération Unifier, a quant à elle rappelé la vice-première ministre, Chrystia Freeland.
« Nos soldats sont en Pologne, et ils travaillent directement avec les soldats [ukrainiens] », a-t-elle plaidé en conférence de presse à Ottawa.
Et par ailleurs, l’OTAN n’en est pas là, a fait remarquer l’ancienne ministre de la Défense Anita Anand.
« Le chef de file de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a dit – et je suis d’accord avec lui – que ce n’est pas le temps de faire ça », a-t-elle insisté en mêlée de presse.
Le premier ministre Justin Trudeau s’est rendu dans la capitale ukrainienne samedi, alors que l’on marquait les deux ans du début de l’invasion russe à large échelle.
Un accord de coopération entre le Canada et l’Ukraine a été annoncé dans le cadre de cette visite au pays du président Volodymyr Zelensky.
Un soutien financier et militaire de quelque 3 milliards de dollars sera offert par le Canada dans le cadre de cet engagement.
Dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas ?
« C’est un énorme énoncé de la part d’une des plus importantes puissances militaires au monde », a réagi le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.
Ce qui ne veut pas dire que c’est « insensé de dire qu’un jour, on pourrait devoir le considérer », a-t-il ajouté.
Je pense qu’il a dit tout haut ce que beaucoup de chefs d’État pensent tout bas, en se disant qu’il ne faut donc pas dire ça publiquement.
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet
Aux yeux du néo-démocrate Alexandre Boulerice, cette discussion semble prématurée, et elle n’est pas sans péril.
« Je pense qu’en ce moment, on n’en est pas là, a-t-il soutenu. J’aurais tendance à dire qu’il faut faire attention à des risques d’escalade. »
Un électrochoc
Il n’est pas impossible qu’avec cette sortie, Emmanuel Macron ait voulu donner un électrochoc à l’Allemagne et aux États-Unis, analyse Maria Popova, professeure de science politique à l’Université McGill.
Dans le premier cas, le chancelier Olaf Scholz fait preuve d’une « grande prudence », et dans le second, l’aide à l’Ukraine est paralysée au Congrès américain, expose-t-elle.
« C’est un signal d’alarme [wake-up call], parce qu’on est encore loin d’un tel moment », croit cette spécialiste des relations russo-ukrainiennes.
Et sur le fond, c’est peut-être une « bonne idée sur le plan de la dissuasion » de signaler au Kremlin qu’il n’y a « pas de ligne rouge », soulève Mme Popova.
Avec l’Agence France-Presse