L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

La fin de janvier est parfaite pour bûcher dans la forêt. Le CH est en congé et on s’ennuie des « lignes ouvertes ». On y revient plus bas. Un fait heureux : le travail physique laisse un peu moins de temps pour ruminer.

Cette année, dans mon coin de pays, le couvert de neige au sol est à peu près inexistant et ça facilite les choses. Le sol est gelé et la machinerie porte.

Précision : pour que la militance écolo ne débarque pas ici ou dépose une injonction, il serait bien de préciser que ce ne sont que les ormes morts que j’abats. Et non pas pour une usine de batteries, prise entre l’arbre et l’écorce de la vertu.

Les ormes, depuis 1944 en Amérique, ont une maladie (la maladie hollandaise de l’orme ou MHO, apparue aux Pays-Bas en 1919) : un champignon, souvent propagé par un insecte, bloque la capacité de l’arbre à acheminer la sève à ses feuilles, causant ainsi sa mort. Un genre de relation toxique, on le comprend (ça nous ressemble) ; au bout du compte l’arbre meurt et le champignon aussi. Que l’on manifeste ou pas pour le droit des ormes, des bibittes ou des champignons n’y change rien. On peut encore voir quelques individus isolés toujours vivants, debout au milieu des champs sur la 20, la 10, la 40... Des arbres majestueux qui survivent, car ils sont seuls.

Plusieurs centaines, donc, sont morts, derrière la maison. Je les récolte pour le poêle à bois. L’outil de combustion est certifié aux dernières normes officielles ; on le répète pour éviter d’être inculpé par une charge d’hérésie écologique, car dans la fracture entre urbains et ruraux, il y a quelques (plusieurs) zones aveugles.

L’art de l’abattage est surtout affaire de compréhension d’une force naturelle : la gravité. Les arbres ont la tête dure et préfèrent tomber du côté où ils penchent, et pour paraphraser le coach : ils n’apportent pas toujours leur game dans ma game. Ça prend alors des poulies, une échelle, des câbles, un tracteur. Et quelques notions de base en physique appliquée. Après avoir détruit des gouttières, des coins de bâtiments et de l’équipement, on finit par apprendre un peu et on se gratte moins la tête pour comprendre ce qui a chié. On s’ajuste.

Parlant de ruralité, on se réjouit de voir les agriculteurs français manifester autour de Paris.

Les institutions qui gouvernent (généralement installées en ville) ont souvent une fâcheuse propension à infantiliser ceux qui nous nourrissent avec des règles, des pratiques et des restrictions administratives hallucinées et lourdes. À quand des normes pour limiter, normer et encadrer le lisier de la bureaucratie ?

Mais on s’éloigne. Une idée comme ça : verra-t-on des tracteurs bloquer Paris durant les Jeux olympiques l’été prochain ? Aura-t-on droit à une compétition de « causes sociales » ?

Récemment, deux militantes ont aspergé la vitre de La Joconde, au Louvre, avec de la soupe à la citrouille pour attirer l’attention sur le droit à une alimentation saine et durable. Come on, les chums ! Du fumier, de l’acide ou un liquide radioactif, OK, mais de grâce, pas de la bonne soupe. Surtout en hiver, car même si la glace de la patinoire du village est plus ou moins belle cette année, ça réchauffe le cœur, un bouillon, et ça fait du bien après une partie de hockey.

Ça fait plus d’une semaine que le CH est en congé et on s’ennuie des vraies affaires et des véritables enjeux sociaux : à quand les séries et plusieurs victoires d’affilée ? Pas question cette semaine de parler de guerres, d’injustices, de Trump, de santé, d’éducation, des syndicats ou d’intelligence artificielle, ni de tout ce qui va mal ou nous paralyse, et encore moins de cet inquiétant sport universel qu’est devenue l’indignation. Si étrange en fait qu’elle révèle de soi un portrait moins flatteur que celui souhaité. Portrait, Joconde... vous me suivez ?

Le carrosse dont on rêve est peut-être en fait une citrouille ? Il est minuit passé, Cendrillon, on est pieds nus, seul comme un orme au milieu de nulle part.

L’utilité d’un potiron est de décorer l’automne ou d’en faire un potage. On doute de l’utilité qu’il soit lancé sur le miroir de soi, sinon que pour divertir et ajouter un murmure à l’ambiance.

Pour que tout aille rondement et que les bilans soient profitables, les arbres doivent tomber au bon endroit sans rien abîmer. Et tout va mieux après une victoire ; moins de remises en question. Et ça aide quand, docile, on paye notre bière plusieurs dizaines de fois ce qu’elle coûte à produire. Les joueurs de hockey, des jeunes hommes, on le rappelle, gagnent plusieurs millions de dollars chacun par année et on s’en réjouit, sans trop critiquer le système. On a le monde qu’on mérite.

Une métaphore pour une autre, et ça vient encore du coach : pour un monde heureux et gentil, « il faut qu’on jouze la game ».

On retourne dans le bois, on aiguise la chaîne et on se défoule comme on peut. « Timber ! », crient les bûcherons.

Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion