L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde

L’hiver a coché présent cette semaine. Il y a moins de bibittes à -13 dehors en fin de journée. Mais on en trouve ailleurs et c’est drôle et triste à la fois.

Des mots presque légers cette semaine pour contrer la désillusion d’une nouvelle année où l’on a souhaité, brièvement, que tout aille mieux.

Avec les enfants, quand le temps se pose, on revisite de façon chronique et annuelle des vidéos virales qui valent autant qu’un essai de sociologie ou un sondage sur notre collectivité. D’abord, cet extrait audio récent d’une femme, pendant un conseil municipal, qui comparait la situation des cerfs de Longueuil avec la guerre à Gaza. Ouf, qu’on se dit ! Longueuil n’est pas si loin et il y a des chances qu’un jour, on se croise elle et moi dans la queue chez Tim, où je vais souvent et où les gens me parlent. Misère…

IMAGE TIRÉE DE LA VIDÉO « UN MOT POUR KEVIN »

La vidéo « Un mot pour Kevin » est un classique qui a fêté ses 15 ans de succès l’automne dernier.

Historiquement, « Un mot pour Kevin⁠1 », un classique qui a fêté ses 15 ans de succès l’automne dernier, remporte encore et toujours la Palme d’or suivi de près par « Dindon sauvage – Couch (la dinde noire)⁠2 », ou encore celui d’un monsieur mononcle un peu trop sûr de lui qui se pince le pouce dans son arbalète (tout est relié !)⁠3. Certaines reprises de feu Doc Mailloux qui révèle des choses hallucinantes sur les comportements humains font aussi partie du palmarès (je souris ici).

Il y a quelques jours, un autre bijou est apparu. Ça date un peu, mais c’est savoureux : « Mouche trouvée dans un Tim Bit⁠4 ». Pas tant l’histoire, parce qu’on se dit que c’est possible. Mais qu’un patron de médias « ait affecté » un véhicule et une équipe journaliste-caméraman pour couvrir ce fait est en soi une révélation tragicomique de ce qu’on est. Dans l’extrait de nouvelle, après les faits, on interviewe le gars qui a acheté le Timbit, dont le témoignage est essentiel (on devine qu’il a probablement appelé la tivi lui-même). Depuis quand, et comment, une mouche dans un beigne peut-elle devenir une actualité ? C’est plutôt mince et c’est plutôt du matériel à réseaux sociaux.

Et comment, sans blague, être surpris que Donald Trump ait de fortes chances d’être réélu dans quelques mois. A-t-on vraiment changé ?

Faudrait parler de démocratie un peu. Vous savez ce système ; la « plus meilleure » combine du monde moderne pour justifier une société juste, libre et équitable.

Si Trump ou Poilievre – aucun amalgame ici – sont élus, c’est qu’une majorité l’aura souhaité et voté. On l’a vu récemment (Milei en Argentine, l’Italie pas loin, l’Inde, même la Suède…). On a convenu ensemble, il y a de cela longtemps, que la majorité ferait la norme. Soit. C’est ce qu’on raconte publiquement. Une théorie que l’on cherche à défendre par les armes et beaucoup aussi par des discours ampoulés, venteux et vaniteux. Une majorité que l’on doit respecter, car on défend cette valeur, même si on s’oppose aux idées. Or, les médias, en général, s’opposent au populisme même si une majorité l’a souhaité.

PHOTO REBA SALDANHA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des partisans de Donald Trump lors d’un rassemblement au New Hampshire, en décembre dernier. Si Trump est réélu, rappelle Marc Séguin, c’est qu’une majorité l’aura souhaité et voté.

Bon, je ne suis pas full honnête, en parallèle aux vidéos virales, je lis aussi Frank Herbert cette semaine (c’est le gars qui a écrit Dune, entre autres choses, et c’est ici qu’on apprend que c’était un livre avant un film). Herbert dit : « Montrez-moi un secteur où tout fonctionne à merveille et je vous montrerai quelqu’un qui cherche à couvrir des bavures. » Est-ce ce qui explique que, récemment, certaines minorités dans notre démocratie réussissent à prendre en otage toute la société ? Que le fait qu’une infime partie perturbe une majorité soit perçu comme une dérive ?

Un dangereux double discours a lieu : on prône en public des idéaux démocratiques dont on se moque en privé (de plus en plus de gens roulent des yeux devant cette vertu à deux visages).

Les vidéos virales sont à la fois immensément drôles et tristes. On partage l’espace social avec ces gens. Ils existent et votent.

Et encore Herbert en écho : « L’échec d’une civilisation se reconnaît au fossé qui se creuse entre la morale publique et la morale privée. Plus large est le fossé, plus proche est la civilisation de sa désintégration finale. »

Ce ne sont plus des fossés, mais des fleuves. Et si ça expliquait la montée actuelle de ce qui ressemble au fascisme ? Peut-être la démocratie a-t-elle des limites ?

Plus loin que les rires, je souhaite remercier les journalistes et les vidéastes amateurs du rappel qu’on ne vit pas toujours avec les plus grands intellectuels et penseurs (aucun cynisme ici). Heureusement.

Ça aide à comprendre que les choses, même si on les rêve autrement, ne changent pas vraiment. La vérité s’effiloche à trop jouer au drapeau. On adore le burlesque, mais moins quand c’est vrai.

1. Voyez la vidéo « Un mot pour Kevin » 2. Voyez la vidéo « Dindon sauvage – Couch (la dinde noire) » 3. Voyez la vidéo « Chasseur se coupe le doigt à l’arbalète » 4. Voyez la vidéo « Mouche trouvée dans un Tim Bit »