L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde

Une route de campagne. Un pick-up avec un voyage de foin traverse un village et passe devant des femmes qui font du piquetage devant une école. Le gars dans le truck klaxonne, fait un signe de la main et lève un pouce.

Une autre grosse semaine de réalités qui fait un peu mal aux tripes et qui enchaîne d’autres raisons infinies de s’indigner. Ici et là une victoire du CH ou des Alouettes devient une bouée ; c’est dire la détresse ou l’importance de ventiler. Parfois une partie de cartes avec les enfants, ou de vieux jeux de table et de société dans les soirées sombres de novembre.

J’adore le jeu de Serpents et échelles. Le serpent de la case 98, qui fait descendre jusqu’au 13, fait mal. Si près du but, on se dit, exalté par une idée de victoire. Résigné, on relance le dé et on tente de remonter et on souhaite le 23 et son échelle qui nous ramène au 82. Les probabilités font en sorte que quelqu’un arrivera toujours par atteindre le 100 et gagner. C’est merveilleux comme idée, non ? À un moment donné, après les chutes et les reculs, on va finir par remonter, on se dit. Et on doit parfois se le répéter à voix haute. C’est aussi un jeu de société qui, étrangement, peut se jouer seul.

En ce moment, les coups de dé semblent tous aboutir sur les serpents, mais c’est comme ça. Politiciens, politiciennes, employés du secteur public, la chute des médias, de la culture, et à peu près tout ce qui respire d’humanité a pogné une « shire » ces derniers mois.

Après la pluie, le beau temps, dit l’adage. Les récoltes de foin ont été catastrophiques cette année. Mauvais temps. Alors on roule sur celui de l’année précédente. Et quand il en manque, je vais en chercher chez un producteur dans un rang du canton.

J’adore de novembre ses décorations de Noël qui apparaissent dans la nuit ici et là, comme pour égayer les ténèbres ambiantes. Des rennes, des bonshommes de neige, des pères Noël, des arbres et des maisons ceinturés de lumières multicolores. Il y a dans ces gestes simples une immense confiance en une suite et une sorte d’idée de beauté. Comme pour envoyer chier un peu la noirceur. Et les bandes de patinoires extérieures qui se déploient. On pourra patiner et jouer dehors au plus creux de l’hiver. Yé. L’avenir sera radieux.

On finit par sourire, et rouler des yeux, chaque fois que les dés font prendre une débarque. Mais c’est un jeu, on s’entend. Comme à peu près tout le reste. On relance en se disant que ça ira mieux. La puck va finir par rouler de notre bord.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Des grévistes du monde de l’éducation ont fait du piquetage à Montréal, au début du mois.

Encore des grèves cette semaine. La rumeur veut que l’opinion publique soit favorable à ces débrayages. Et ça réjouit. Non pas par opposition au gouvernement en place, mais parce que parfois, il y a un peu de lousse dans nos valeurs et ça fait du bien de prendre le temps de les resserrer. Il est si facile de se perdre dans les formes de narcissismes et de gratification immédiate. Et on finit par chercher un peu ses valeurs à tâtons. L’indignation, quoiqu’utile, a aussi des limites.

En levant une main d’approbation aux femmes et enseignantes qui manifestaient l’autre matin au village, j’ai compris, l’instant d’une seconde, que certaines valeurs valent la peine d’être défendues.

Mes quatre enfants sont passés là dans cette petite école de village, entre leurs mains et leur bienveillance. Si une grande partie de l’éducation revient aux parents, les enseignantes et les techniciennes et techniciens en éducation spécialisée (TES) ont aussi un rôle immense, souvent négligé ou tenu pour acquis.

Dominique, Julie, Vicky, Sonia, Julie encore, Laurence, Ken, Nancy, Elena, Caroline, Catherine, Stéphanie, Pénélope, Isabelle, Audrey… j’ignore si vos demandes salariales et conditions de travail seront exaucées et améliorées. Et je sais que ce mot ne paiera pas le loyer ni l’épicerie, mais ceci : merci.

La musique de Noël a commencé à jouer le 10 novembre cette année dans mon pick-up. Et cette semaine, je vais jouer avec les dés et monter dans la grande échelle coulissante de 28 pieds et installerai des lumières dans un érable, au bout de mes bras.