L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Ce sera la COP15 dans quelques heures. Impossible de ne pas en avoir entendu parler. Et comme pour les vaches qui ont sauté la clôture en Mauricie, les deux évènements font sourire.

Il y a trois semaines, c’était la COP27. Pas d’anachronisme ici, même si 15 arrive après 27, tout est normal de la forme jusqu’au contenu : difficile de s’y retrouver dans ces rendez-vous et leurs vœux pieux. Parler d’une fable pour décrire cette série de conférences serait plus juste.

Récemment, en forêt, je me suis fait encercler par une meute de loups (dans mon téléphone : une vidéo, avec les hurlements). Avec une finesse et une intelligence naturelle impressionnantes, les loups m’ont coincé. Sur ma gauche un ravin ; impossible de fuir par là. Le premier animal s’est présenté de face, à une centaine de mètres à travers les arbres. Une louve. Elle s’est approchée suffisamment pour que je constate que c’était une madame. J’étais assis au sol, à la chasse au gros gibier avec un arc traditionnel. Les loups ayant d’abord envisagé que j’étais une proie.

Me suis levé, et j’ai dit doucement : « Allô, qu’est-ce que tu fais là ? » On s’est regardés, elle et moi, le temps de sortir mon téléphone. Et alors, la louve a hurlé. Puis un autre cri sur ma droite lui a répondu. Puis deux autres encore derrière. J’ai vu quatre loups ce matin d’octobre. Des loups qui en ont rejoint ensuite d’autres à 300 mètres. Une meute. Et tout ce beau monde a feulé ensemble. Suis resté silencieux à les écouter. Avec un immense sourire.

Crier au loup. Ça vient d’une fable de l’Antiquité reprise ici et là depuis presque trois millénaires. J’adore ces histoires qui traversent le monde et le temps. Il y a un petit quelque chose de plus que sur Twitter.

Ça raconte qu’un enfant berger, qui s’ennuyait à surveiller ses moutons, s’est mis à pleurer et à rapporter qu’un loup rôdait. Ça le rendait populaire auprès des gens du village. Ça lui donnait de l’importance. Jusqu’au jour où les villageois se sont tannés de se faire répéter la même histoire et n’y ont plus cru. Un bon matin, un vrai loup s’est approché, l’enfant a crié et rien n’y fit. Le loup a mangé tout le monde.

Vous y croyez encore, à ces conférences COP numérotées ?

On dirait qu’elles finissent toutes par des échecs. Quelques mesures superficielles, certes, mais des détails. Celle de Montréal ressemblera à toutes les autres.

On se fera d’abord dire avec un enthousiasme délirant, par des délégués — venus de partout dans le monde dans de gros avions — qui mangent des petits fours et font des déclarations bonbon le jour de la clôture (quand même drôle qu’on érige une clôture pour s’autocongratuler : ça pourrait s’appeler Le jour de la clôture, tiens !). On nous racontera les progrès en se vautrant dans le sucre en poudre des symboles. Puis on se ravisera : ce n’était pas assez. On se fixera d’autres cibles que personne ne veut atteindre. Personne ne les atteindra anyway. Retour ici sur la COP27 : faudrait se réjouir de la création d’un fonds d’aide de 100 milliards ! Bullshit. Pas besoin de ce mirage. On invente déjà de l’argent pour toutes les autres catastrophes au cas par cas.

Chaque jour depuis quelques décennies, on se fait dire que l’on court à la catastrophe écologique, politique, économique ou de biodiversité… Les conclusions scientifiques, la peur et les prévisions accélèrent et devancent une fin de non-retour. Et puis hop, une autre COP. Parce qu’il faut en parler, comme si en parler tenait l’échéance en échec. Les industriels écoutent, sourire retenu. Les militants y croient toujours un peu (heureusement) et seront (irrémédiablement) déçus. Il semblerait que l’on sache tous qu’il y a urgence, même les voyous, paraît-il, qui continuent d’engranger les profits. Le déni semble faire davantage partie de notre nature que la peur de perdre notre droit à l’aveuglement. On répétera sensiblement les mêmes réflexes lors de la COP91 ou de la COP247 dans quelques années.

Il devient de plus en plus facile de moins y croire. Personne n’arrive à se mettre d’accord. C’est un peu ce qui arrive quand on laisse trop de lousse aux délégués, aux politiciens et aux fonctionnaires des idées : on sauve ici et là un papillon, une grenouille et une plante, et on se félicite d’avoir fait avancer les choses. Trop peu trop tard, distingués invités.

Dans le dictionnaire, on dit de l’expression « crier au loup » :

… avec pour conséquence le risque de ne pas être écouté en cas de vrai danger.

Je crois et constate les changements climatiques, mais de moins en moins les gens qui disent pouvoir changer les choses. Je fais dorénavant partie de ceux qui n’attendent plus de miracles.

Et je blâme les COP de leurs ivresses et leurs plaidoiries de gars chaud. Faudrait des mesures passives draconiennes et moins d’impunité pour ces personnes qui, au terme de 10 jours de discussions (encore), auront donné au monde la brève illusion d’une avancée.

Ce matin-là où je n’ai pas crié, les loups sont retournés faire leurs trucs de loups et je suis rentré au camp me faire un café avec le sentiment d’avoir vécu une belle patente.

À propos de manquer ses cibles : lorsqu’on se pratique, à l’arc, c’est OK ; on se dit qu’à la prochaine flèche on fera mieux. À la chasse, quand c’est vrai, il ne m’est jamais arrivé d’avoir une deuxième chance. Rester silencieux ET efficace. La panique, il me semble, ne se discute pas la bouche pleine, un verre à la main. N’en déplaise à mes amis de pouvoir pour qui l’avenir passe par des voix officielles qui érigent des clôtures et gardent à distance ceux qui voudraient avoir une voix pour crier plus justement.