Toutes les deux semaines, l’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde.

Le foin est rentré pour l’hiver. En mai, le pâturage aura repris vie. La roue tourne. Ce qui pousse deviendra du fumier, qui à son tour sera transformé en compost, qui servira à engraisser le sol, qui fera croître d’autres choses. Ça va, ça vient. Un peu comme les marées.

Depuis plusieurs mois, on se fait pilonner ad nauseam par l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre. Une question : comment se fait-il que l’on manque aussi subitement de force de travail ? Peut-être le gouvernement d’ici, comme celui en Chine, nous a-t-il menti sur le véritable nombre de morts de la COVID ? Évidemment, je souris ici. Mais plusieurs y croient. De plus en plus de gens croient toutes sortes de choses. Et c’est inquiétant. D’où vient ce défaut ? À qui la faute ?

On m’a élevé avec certaines valeurs. En gros, à peu près toutes celles qui semblent faire défaut à Donald Trump. Cette dérive sociale est fascinante. Inquiétante certes, pour la suite du monde, mais aussi révélatrice. Aux élections de mi-mandat, la déconfiture des républicains suppôts de l’ancien président (l’homme ne sera jamais noble) ne devrait pas trop nous réjouir. Ils demeurent dans les coulisses et sont plus dangereux dans le silence que lorsqu’ils crient. Ils n’ont pas disparu, et se disent que leur heure viendra.

On revient ici. Pour mesurer la valeur du foin, on utilise une sonde de fourrage. Un genre de tige creuse, vide et coupante que l’on insère jusqu’au milieu de la botte et dont on retire une carotte pour « lire » la qualité de sa composition. Une réflexion : peut-être existe-t-il trop de sondes et pas assez de solutions ? Lorsque le foin est fauché, pressé et engrangé, il est un peu tard pour se plaindre. Parfois, on peut jouer un peu sur le prix, mais si peu ; et impossible en 2022 parce que ci, parce que ça…

Depuis le début de cette inflation, j’entends des histoires de gens qui s’enrichissent. On n’en parle pas trop fort. Toutes les ruptures de stock semblent justifier une explosion des prix et des profits. Et c’est parfois un peu vulgaire. Certaines industries font tellement de profits que c’en est « gênant » (est cité précédemment textuellement un dirigeant industriel, bourgeois gentilhomme, lors d’une conversation cet automne).

Alors pourquoi la faillite morale et économique semble-t-elle toujours guetter la société ? Il y a des années où le foin est exceptionnel et d’autres, médiocre. Le prix, lui, semble condamné à augmenter.

Les ménages du pays s’appauvrissent, la valeur immobilière a fondu. Et pourtant, tout augmente. Je ne suis pas économiste, mais il y a des gens et des entreprises quelque part qui profitent de cet effet de marée (lorsque la marée est basse à un bout de l’océan, elle est haute ailleurs, ainsi vont ces cycles, merci la lune !). C’est comme pour les éclipses ; ça dépend du point de vue. Certains restent dans l’ombre. Et d’autres profitent impunément des rayons de lumière (fouiller un peu, les profits de certains sont hallucinants, mais on n’en parle pas).

Mon foin coûte plus cher à produire. Les causes : le prix du diesel et de l’équipement agricole, le coût des semences et des intrants, les salaires des opérateurs… On m’a même dit de vive voix que la ficelle qui enserre les balles de foin a doublé. Me semble que l’argent finit bien par aboutir quelque part dans une poche ou un coffre, du moins en taxes et en impôts, non ?

On ne se refait pas ; rares sont les personnes qui se plaignent lorsque tout va bien. C’est quand ça craint qu’on hurle. D’un côté, on nous dit que ça va mal, et de l’autre, la valeur de tout ce qu’on achète ou presque augmente. Dans un système économique, c’est ce qu’on souhaite, non ? Vu d’ici, le futur est assuré. On va pouvoir se souhaiter des vraies patentes au jour de l’An.

C’est une année correcte pour le foin, sans plus. Beaucoup de volume, mais qualité moyenne. Et le prix a encore monté. Ça défie étrangement ma compréhension de l’offre et la demande. En fait, beaucoup de choses sont dérangées dans l’histoire récente de notre merveilleux monde, mais tout est normal. Non, ce n’était pas mieux avant. Les vieux almanachs que je lis de temps en temps prédisent avec autant d’erreur et de justesse l’avenir que les médiums de l’économie. Avec autant de mystères aussi. Citons Molière : « Après vous m’apprendrez l’almanach, pour savoir quand il y a de la lune et quand il n’y en a point. » On peut aussi regarder le ciel et se faire une idée. Ou bientôt, rêver d’aller dans l’espace une semaine en tout-inclus. Trump pourrait y ouvrir un hôtel et fourrer les extraterrestres ou y devenir président.

Au bout du compte, les animaux s’en foutent, la gueule pleine de foin. Certains humains aussi. J’oubliais l’essentiel : on prédit un hiver déraisonnablement froid et neigeux. Investissez votre argent dans les fabricants de pelles et de tuques.