Le débat sur les seuils d’immigration est reparti pour un nouveau tour. Et si on veut arriver à des solutions, il serait utile que toutes les parties écoutent les arguments de l’autre au lieu de rejouer les enregistrements de leurs vieux discours.

Ça reprend à la faveur d’une nouvelle cible fédérale, soit d’accueillir un demi-million d’immigrants annuellement à compter de 2025. Le Québec dit que c’est beaucoup trop et s’en tient à sa cible de 50 000 nouveaux venus. Le fédéral réplique que rien n’empêche le Québec d’aller chercher 100 000 immigrants francophones.

Dans les deux cas, il y a une bonne part de mauvaise foi. D’abord, répétons-le, le chiffre de 50 000 immigrants au Québec n’est démontré par aucune donnée probante. Il est sorti du chapeau du premier ministre François Legault. « À 50 000, on a de la misère à arrêter le déclin du français », disait-il encore, cette semaine, sans les justifications nécessaires. D’abord, parce que c’est faire porter sur les seuls immigrants le poids du déclin du français, ce que rien ne prouve. Mais aussi, parce qu’on a le droit de se demander si le Québec fait tous les efforts qu’il faut en matière de francisation.

Par exemple, on sait qu’il ne dépense pas la totalité des 700 millions de dollars qu’il reçoit d’Ottawa pour l’intégration et la francisation. De plus, on ne donne pas aux nouveaux arrivants la chance de suivre des cours de français en tenant compte de leur travail. S’ils sont placés devant le choix de faire l’un ou l’autre, nourrir la famille va inévitablement passer en premier.

Par contre, la réplique du gouvernement fédéral, par la voix du ministre Pablo Rodriguez, est tout aussi irréaliste. Le Québec, dit-il, a tous les pouvoirs pour aller chercher 100 000 immigrants francophones s’il le désire.

Mais le Québec travaille déjà très fort pour recruter des immigrants francophones. Mais cela ne constitue qu’environ 60 % du total.

On peut présumer que s’il le pouvait, si c’était si simple, le Québec accueillerait bien davantage de francophones.

M. Legault veut aussi gagner sur le plan des symboles : il est toujours important pour un premier ministre du Québec de « gagner des pouvoirs » à Ottawa…

D’où la demande d’obtenir la compétence sur la réunification familiale, puisque la moitié ne parlent pas français. C’est vrai, mais dans la réalité, ça n’aurait pas beaucoup d’effet sur les grands équilibres linguistiques.

Ces immigrants sont soit des enfants — qui iront à l’école française en vertu de la loi 101 —, soit des grands-parents, qui ne seront pas sur le marché du travail, soit des conjoints, donc des gens assez jeunes pour apprendre le français pour entrer sur le marché du travail ou utiliser les services gouvernementaux.

Mais de toute façon, sur cette question, c’est le ministre Rodriguez qui a raison : la réunification familiale est d’abord une question de nature humanitaire, qui « relève de l’amour plutôt que du français ».

En fait, c’est à se demander ce que le Québec pourrait faire de différent d’Ottawa.

Et, pour parler politique, voudriez-vous être le ou la ministre de l’Immigration qui devra répondre en conférence de presse à une maman qui dira que « le gouvernement du Québec [l’]empêche de voir [ses] enfants » ?

Enfin, il y a la question des immigrants temporaires, qui sont de compétence fédérale. Une grande partie de la situation tient à des programmes d’éducation — légaux, mais souvent aux qualités douteuses — qui ont provoqué une augmentation fort importante du nombre de ces immigrants temporaires. Mais ces écoles seront fortement réglementées à compter du 1er septembre 2023. On verra alors quelle sera la situation.

Mais il y a un dossier dont il faut s’occuper maintenant.

Contrairement à tous ses prédécesseurs fédéralistes, M. Legault ne se soucie aucunement du poids du Québec au sein du Canada, disant qu’il y a des garde-fous pour préserver un peu le nombre de sièges du Québec aux Communes. C’est une garantie bien maigre pour une question déterminante pour l’avenir du Québec.

Si le Canada estime qu’il est important de continuer à être un pays bilingue, il ne peut pas continuer ses politiques actuelles de portes grandes ouvertes en immigration, au risque d’y noyer le fait français.

Le Québec doit intervenir dans ce débat en voyant plus large que les effets sur ses seules compétences. D’autre part, il ne suffira pas à Ottawa de dire que le Québec n’a qu’à trouver plus d’immigrants francophones.

D’autant qu’il serait bien naïf de penser que ça n’a rien à voir avec le fait que le Parti libéral du Canada a profité historiquement — et profite encore largement — de l’appui des nouveaux venus, une fois citoyens. À deux ans des élections, ça ne peut pas être étranger à ses préoccupations.

Il faut tenir un débat sain sur l’immigration et mettre tous les sujets sur la table, même ceux qui fâchent. Et surtout, toutes les parties devront arriver à la table de bonne foi et en laissant à la porte slogans et partisanerie.