C’est un débat mal inspiré qui va ouvrir les travaux de l’Assemblée nationale dans quelques semaines. Le Parti libéral du Québec, fort de son statut d’opposition officielle, voudrait empêcher le Parti québécois et, surtout, Québec solidaire d’avoir les droits et privilèges réservés aux partis dits reconnus.

C’est très mal interpréter tant la loi que le règlement et la tradition des assemblées parlementaires au Québec comme au Canada.

D’entrée de jeu, il faut rappeler que la norme dont on parle si souvent ces jours-ci de 12 députés ou 20 % du vote pour être un groupe parlementaire reconnu n’a pas force de loi, mais vient du règlement de l’Assemblée nationale. Un règlement qu’il est toujours possible d’adapter aux circonstances et auquel on a souvent fait des exceptions.

La petite histoire de cette norme est intéressante. Pendant 100 ans, il n’y a pas eu de véritables petits partis à l’Assemblée nationale. Les bleus et les rouges s’y échangeaient le pouvoir et on n’avait à gérer que le temps de parole des quelques rares députés indépendants.

Tout cela a changé après les élections de 1970 quand le Parti québécois et le Ralliement des créditistes firent leur apparition. Mais le premier ministre Robert Bourassa, nouvellement élu, ne s’est pas cassé la tête. Il a pris les résultats des élections pour reconnaître les nouveaux partis.

Les créditistes avaient 12 députés et 11 % du vote : c’est devenu la règle des 12 sièges. Le PQ avait 23 % des votes, mais seulement sept députés : c’est devenu la règle des 20 %. Une règle qui était une nouveauté du parlementarisme britannique qui ne tenait traditionnellement compte que des députés.

On voit tout de suite que la norme n’est pas édictée pour réduire les droits de parole des députés, mais pour s’assurer que le plus grand nombre puissent s’exprimer et participer pleinement aux travaux parlementaires. L’intention est très claire et elle est devenue une des belles traditions de l’Assemblée nationale.

D’ailleurs, l’Assemblée nationale a été très tolérante au cours des années. Même lorsqu’il s’agissait de députés qu’elle aurait pu considérer comme des indépendants.

Par exemple, après les élections de 1989, le Parti égalité — issu d’une révolte d’une partie de l’électorat anglophone du PLQ — avait obtenu moins de 4 % des voix, mais quatre députés. Il aura été reconnu comme « formation politique » plutôt que comme parti. Mais avec tous les attributs des partis reconnus, soit : budget de recherche, accès aux commissions parlementaires et à la période des questions.

Essayer, aujourd’hui, d’utiliser le règlement pour limiter les droits de parole de deux partis qui ont obtenu moins de sièges, mais plus de votes que le PLQ n’est pas seulement un jeu politique mesquin, c’est tenter de pervertir les traditions d’ouverture au plus large débat possible, qui sont celles de notre Assemblée nationale.

D’ailleurs, il serait peut-être temps de s’interroger sur cette norme de 12 députés et 20 % des voix, qui n’a pas à être gravée dans la pierre.

On peut noter que la norme québécoise de 12 députés pour être un parti reconnu est la plus sévère de toutes les provinces du Canada. En Nouvelle-Écosse et en Saskatchewan, c’est deux. À Terre-Neuve-et-Labrador, c’est trois, en Alberta, quatre. Même en Ontario, qui a une population plus importante que le Québec, c’est seulement huit.

Pour l’anecdote, à Ottawa, la norme est aussi de 12 députés, sans référence au pourcentage des voix reçues, cela date de 1963 dans une loi visant non pas à reconnaître des partis, mais à donner une rémunération supplémentaire aux chefs des partis de l’opposition...

Au Québec, avec la multiplication des partis de l’opposition, la norme des 20 % n’a peut-être plus la même pertinence. Actuellement, on voit trois partis autour de la barre de 15 %, et même quatre si on compte les conservateurs qui n’ont pas réussi à faire élire de député.

D’ailleurs, la moindre des choses, dans les circonstances, serait de donner au Parti conservateur accès sinon à l’édifice du Parlement, au moins à celui de la Tribune de la presse de l’autre côté de la rue !

Le serment au roi

Beaucoup de commentaires sur ma dernière chronique. Mais je persiste : s’en servir comme prétexte pour ne pas occuper son siège de député est choisir un spectacle purement symbolique plutôt que l’action concrète.

Si on veut abolir le serment, une simple loi est requise. Loi que le chef du PQ pourra présenter... dès qu’il deviendra député.

Les Lévesque, Parizeau, Laurin et 15 cohortes de députés péquistes élus depuis 1970 ont tous prêté ce serment. Parce qu’ils le considéraient pour ce qu’il est : une simple formalité.

Et si cette formalité vous est devenue intolérable, en toute logique, abstenez-vous désormais de voyager à l’étranger, puisque votre passeport est délivré... au nom de Sa Majesté.