Dominique Anglade aurait intérêt à consulter l’ancien chef libéral Daniel Johnson. Il a vécu une expérience semblable à celle qu’elle va connaître au cours des prochains mois.

Comme Mme Anglade, Daniel Johnson n’avait pas démérité. Même s’il avait pris la direction du Parti libéral du Québec (PLQ) alors qu’une génération complète de piliers du parti avaient quitté ce dernier, il n’avait perdu le suffrage universel que par 14 000 voix lors des élections de 1994, qui s’étaient soldées par la victoire du Parti québécois de Jacques Parizeau.

Mais une défaite, c’est une défaite. Et les libéraux n’ont jamais vraiment toléré de garder un perdant comme chef. Ils ont montré la porte à des chefs comme Jean Lesage ou Claude Ryan, même quand ces derniers ont tenté de s’accrocher.

PHOTO ROBERT NADON, ARCHIVES LA PRESSE

Daniel Johnson en 1994, en compagnie de Thomas Mulcair

Daniel Johnson aussi avait essayé de rester. Il avait été le chef du camp du « Non » au référendum de 1995, mais il n’avait pas été le héros de la campagne du « Non ». Ce fut plutôt Jean Charest, alors chef conservateur à Ottawa, qui avait été le plus éloquent défenseur du fédéralisme. Il allait devenir son successeur, mais on ne le savait pas encore.

Avec l’arrivée d’un Lucien Bouchard au faîte de sa popularité à la tête du Parti québécois (PQ), les libéraux redoutaient par-dessus tout un nouveau référendum et craignaient que Johnson ne soit pas de taille contre son adversaire souverainiste.

Daniel Johnson s’est battu pour son poste et, au congrès de mars 1997, avec un vote de confiance comme celui auquel Mme Anglade devra se soumettre au prochain congrès du PLQ, il avait été confirmé par un vote de 80 %. Un score d’autant plus remarquable que, quelques mois plus tôt, le PQ n’avait donné que 76 % à Lucien Bouchard !

Malgré tout, la grogne au sein de son parti ne s’est pas calmée.

Ce fut comme un long supplice à coups de canif. Pas de grand couteau pour trancher la question. Juste, tous les jours et sur tous les sujets, de petits coups répétés qui auront fini par l’user.

En mars 1998, à quelques mois des élections, Johnson a fini par démissionner.

Le vétéran journaliste Gilles Lesage écrivait alors dans Le Devoir : « Est-il surprenant que Daniel Johnson démissionne ? Non : les coups ont plu tellement dru, de toutes parts, que même la carapace la plus coriace a fini par en être ébranlée. »

Évidemment, il n’est pas dit que l’histoire va se répéter. Mme Anglade a été élue cheffe par acclamation il y a deux ans. Les libéraux eux-mêmes seraient bien embêtés si on leur demandait de dresser une liste de successeurs potentiels.

Mais pour garder son poste, Mme Anglade devra faire un sans-faute comme cheffe de l’opposition. Et, pour dire la vérité, c’est mal parti.

D’abord, il y a le déni qui a marqué la première réunion du caucus cette semaine. Mme Anglade dit que les libéraux « ne se mettent pas la tête dans le sable », mais elle estime que ce sont des « enjeux d’organisation » qui sont responsables de la défaite.

Il est vrai que l’organisation est à reconstruire au PLQ, mais Mme Anglade en était la cheffe depuis deux ans et c’est elle qui en avait la première responsabilité.

C’est aussi elle qui a porté une plateforme très éloignée des préoccupations des électeurs. L’hydrogène vert est peut-être la voie de l’avenir, mais les électeurs avaient plus la tête à l’inflation des prix des carburants d’aujourd’hui.

Et tout le monde a vu une tournée de la cheffe des plus étranges alors qu’elle a passé sa première semaine dans la région de Québec — où la plupart de ses candidats ont fini au cinquième rang. Et cette dernière journée de la campagne, où elle s’est promenée des Îles-de-la-Madeleine à l’Ungava, sans mettre les pieds là où son parti aurait eu des chances de l’emporter.

Il faudra aussi que Mme Anglade montre qu’elle a un jugement sûr. Or, refuser son consentement à ce que Québec solidaire et le Parti québécois puissent être reconnus comme groupes parlementaires est d’une partisanerie aveugle qui démontre tout sauf le nécessaire discernement.

D’abord parce que l’Assemblée nationale a toujours trouvé un moyen de faire pleinement participer à ses travaux tous les groupes parlementaires dont les résultats avaient été en deçà des seuils prévus.

Même le Parti égalité — ces quatre députés issus de la colère de la communauté anglophone contre le PLQ en 1989 — avait reçu une reconnaissance partielle, des budgets de recherche et un accès aux commissions parlementaires.

Aujourd’hui, les deux partis que Mme Anglade voudrait exclure pour des raisons strictement partisanes ont obtenu plus de votes que le PLQ, ce qui rend son exigence d’appliquer strictement les règles encore plus incompréhensible.

D’autant que, dans un parlement, on ne sait jamais quand on pourrait avoir besoin d’un renvoi de l’ascenseur démocratique.