À l’occasion du centenaire de sa naissance, on a beaucoup parlé de l’héritage de René Lévesque, mais on a un peu oublié que ses réformes ont transformé la démocratie québécoise. C’est peut-être parce qu’on a du mal à se souvenir du système qui existait avant.

Il n’y avait vraiment rien de bon dans la manière dont les partis politiques se finançaient avant les réformes du premier gouvernement du Parti québécois (PQ). Lévesque faisait depuis longtemps une véritable allergie aux « caisses électorales occultes », qu’il a dénoncées dès la fondation du PQ, et il avait fait de leur abolition un engagement central du programme de son parti.

À l’époque, n’importe qui pouvait contribuer à la caisse d’un parti en conservant son anonymat et sans aucune limite. Ce qui signifiait qu’on ne pouvait jamais être certain qu’une décision était prise pour le bien commun et non pas pour remercier un généreux donateur.

Dès son arrivée au pouvoir, tout de suite après le projet de loi 1 sur la langue (qui est devenu le projet de loi 101 après un mauvais tour de passe-passe procédural), Lévesque fit adopter le projet de loi 2 sur le financement des partis politiques.

C’était la première fois qu’on établissait au Canada le principe selon lequel seuls les électeurs peuvent contribuer au financement politique. Les contributions étaient soumises à un plafond fixé par la loi et devaient être rendues publiques. Les sociétés et les personnes morales étaient totalement exclues du financement des partis.

Bien sûr, on l’a vu ces dernières années, le système n’était pas parfait et des partis ont trouvé le moyen de le contourner. Avec le résultat que l’État est maintenant le principal bailleur de fonds des partis politiques, et on peut certainement se demander ce qu’en penserait aujourd’hui René Lévesque. Il reste que, de son temps, c’était une réforme démocratique majeure, et qu’elle a encore des effets aujourd’hui.

C’est aussi M. Lévesque qui avait fait adopter une loi exemplaire sur les référendums qui garantissait que le camp du Oui et le camp du Non seraient à armes égales pendant la campagne référendaire, y compris sur le plan du temps d’antenne ou celui des dépenses encourues.

Cette loi est toujours en vigueur et a été utilisée trois fois avec succès… même si le gouvernement fédéral ne l’a pas toujours respectée, surtout lors du premier référendum en 1980.

Un autre fondement de la démocratie, pour René Lévesque, était le respect des droits fondamentaux et, en particulier, ceux des minorités.

Ces derniers temps, on a beaucoup utilisé une citation de M. Lévesque — toujours la même, d’ailleurs — dénonçant le « gouvernement des juges » après le rapatriement de la Constitution et l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982.

Mais c’est oublier que la principale objection de M. Lévesque était que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec — adoptée en 1975, sous le gouvernement de Robert Bourassa – était bien supérieure à la Charte canadienne, entre autres parce que non seulement elle s’appliquait aux relations de l’État avec les citoyens, mais qu’elle interdisait aussi la discrimination dans le secteur privé.

La Charte québécoise pouvait être invoquée, par exemple, dans le cas de discrimination en matière de logement, alors que la Charte fédérale ne s’appliquait que si un organisme gouvernemental était en cause.

C’est aussi le gouvernement de M. Lévesque qui a élargi la portée de la Charte québécoise pour qu’elle s’applique aux lois qui avaient été adoptées avant la Charte, une demande de son ministre de la Justice, Marc-André Bédard. Prétendre aujourd’hui qu’il était viscéralement contre les chartes des droits et libertés est tout simplement inexact.

Son autre grande contribution à la vie démocratique, c’est le Parti québécois lui-même. Un parti entièrement différent des autres à sa fondation. D’abord par le financement populaire qu’il s’est imposé à lui-même avant d’en faire une loi.

Cela était très exigeant, mais cela a obligé le PQ à tenir des campagnes de financement chaque année, ce qui impliquait, entre autres, d’avoir une base militante mobilisée en tout temps et pas seulement lors des campagnes électorales. Et qui donnait aux membres le sentiment que le parti leur appartenait.

De même, au PQ, les candidats devaient être choisis par les membres du parti dans chaque circonscription et les nominations directes par le chef étaient de rares exceptions plutôt que la règle comme dans les « vieux partis ».

Le programme était adopté par les membres lors de congrès et pas concocté en secret par une quelconque « commission politique » et révélé à la veille des élections. Bien sûr, il est arrivé que les débats aux congrès du PQ fassent damner le chef, y compris le congrès de 1982 dont les décisions furent renversées par le tristement célèbre « Renérendum », une consultation directe de tous les membres.

Mais, de façon générale, le PQ était largement en avance sur son temps en matière de transparence et de démocratie interne. Comme le Québec l’a été — et, jusqu’à un certain point, l’est toujours — grâce à René Lévesque.