Un vent de colère souffle sur la droite canadienne : déjà, il a emporté Jason Kenney – qui était encore récemment considéré comme le leader intellectuel du conservatisme canadien. C’est la même colère qui est en train de porter Pierre Poilievre à la direction du Parti conservateur du Canada.

Le Canada n’est pas seul : c’est la colère qui fait encore vivre le trumpisme malgré la défaite de Donald Trump. C’est la colère qui a porté Marine Le Pen à 42 % des voix au second tour de la présidentielle française. C’est la colère qui était aussi derrière le sulfureux Éric Zemmour, avant que le feu ne s’éteigne. C’est aussi celle qui a porté le Brexit et Boris Johnson au Royaume-Uni.

Une colère qui n’a pas nécessairement de dénominateur commun sinon qu’elle vise les élites de toutes sortes et qu’elle s’exprime surtout par ceux qui estiment ne pas avoir voix au chapitre.

En Amérique du Nord, cette grogne s’est récemment exprimée par le refus des mesures sanitaires – en particulier la vaccination – qui ont été imposées pour contrer la pandémie. Si certains y ont vu une nécessaire intervention de l’État pour sauver des vies, d’autres les auront considérées comme une imposition par l’État d’une intrusion inacceptable dans la vie privée des citoyens.

C’est certainement une des causes de la révolte des conservateurs en Alberta qui a conduit le premier ministre Jason Kenney à démissionner après un vote de confiance à la hauteur de 51 %, ce qu’il a jugé insuffisant.

M. Kenney a toutefois indiqué qu’il restait premier ministre jusqu’à l’élection d’un nouveau chef. Samedi, il a annoncé qu’il ne sera pas candidat à sa propre succession.

Mais quelle que soit l’issue de la bataille de l’Alberta, une chose est certaine : la colère des conservateurs albertains qui ont montré la porte à M. Kenney est réelle et elle menace pas mal tous ceux qui voudraient l’ignorer.

Dans un article qui a été beaucoup repris cette semaine, l’ancien conseiller de Stephen Harper Sean Speer a dit que ceux qui ont voté contre M. Kenney étaient une « minorité qui a peur, qui est en colère et qui ne se définit pas par ce qui est bon et juste, mais seulement par une culture de conflit et d’opposition ».

Cette définition peut très bien s’appliquer à plusieurs mouvements qu’on a pu constater chez nous autant qu’un peu partout sur la planète.

En Europe, comme on l’a vu à la récente élection présidentielle française, on a joué sur le clivage entre « la France d’en haut et la France d’en bas ». Les puissants qui ont accès au pouvoir, à l’argent et aux médias et ceux qui n’ont rien de tout cela. Avec la peur des étrangers qui veulent prendre la place et préparent un « grand remplacement »...

Le racisme en moins, ça ressemble beaucoup au discours qui est en train de porter Pierre Poilievre à la tête du Parti conservateur canadien. Le député de Carleton emploie péjorativement le mot « gatekeepers » (pour lequel je cherche encore une traduction...) pour décrire tous ceux qui empêchent les citoyens ordinaires d’avoir accès au pouvoir.

Évidemment, c’est un peu dans la nature du personnage, M. Poilievre est allé trop loin en promettant de congédier le gouverneur de la Banque du Canada et en faisant la promotion des cryptomonnaies pour « libérer » les Canadiens de l’emprise de la Banque du Canada.

On aurait pu penser qu’après le dernier débat des candidats à la direction du Parti conservateur du Canada, M. Poilievre ou certains de ses appuis auraient compris que ce discours risquait d’aliéner bien des électeurs qui, même s’ils sont plutôt fatigués des libéraux, ne vont pas nécessairement voter pour des idées aussi extrêmes.

Mais ce fut plutôt l’inverse. Les partisans de M. Poilievre dans le caucus conservateur ont obtenu la tête du critique financier du parti, l’ancien ministre du Commerce extérieur Ed Fast, qui a dû démissionner pour avoir critiqué la position de M. Poilievre sur la Banque du Canada. « J’en étais arrivé au point où je ne pouvais plus faire mon travail », a expliqué M. Fast.

Même s’il semble que le Parti conservateur du Canada veut avoir son « moment Poilievre », rien n’indique que c’est la voie du succès à long terme.

La colère et le ressentiment sont des moteurs puissants en politique pour ceux qui sont capables de les comprendre et de les exprimer. Mais il s’agit rarement d’un programme politique qui permet de mettre en place de véritables et durables solutions.

Donald Trump n’a fait qu’un seul mandat, même s’il dit encore qu’il a gagné la dernière élection. Marine Le Pen a échoué une seconde fois à gagner la présidence française. Et, en Ontario, c’est un conservateur modéré – ou qui a appris à l’être – qui est en voie d’être réélu premier ministre de la plus populeuse province.