Dans notre système politique, le premier ministre est à la fois le chef du gouvernement et le chef de son parti, un équilibre qui n’est pas toujours facile à maintenir, mais qui est essentiel. Parce qu’il doit être le premier ministre de tous les Québécois.

Mais cette semaine, les instincts partisans du premier ministre François Legault ont carrément pris le dessus et il s’est présenté comme le premier ministre de la Coalition avenir Québec, et guère plus.

Il y a eu cette phrase malheureuse, qui n’a pas été captée par les micros du Salon bleu, mais que tous ceux qui y étaient ont entendue : « C’est sûr que c’est un Québécois, a-t-il dit du président de l’Assemblée nationale. François Paradis, c’est un caquiste ! »

Ce ne serait pas si grave si cela n’avait pas couronné une semaine où le M. Legault a donné libre cours à une partisanerie tout à fait déplacée.

Dès mardi, M. Legault donnait une explication pour le moins surprenante à la décision d’annuler le projet d’expansion du collège Dawson, qui faisait pourtant partie de la liste des priorités de son gouvernement, tant dans le Plan québécois des infrastructures que dans la loi 66, sur les projets à accélérer pour aider la reprise économique.

Le problème, ce n’est pas que le gouvernement ait changé d’idée. Dans un contexte où les besoins sont nombreux et les ressources limitées, le gouvernement doit faire des choix, et c’est normal. Le problème vient des arguments qu’il a donnés pour se justifier.

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Le collège Dawson, à Montréal

« Quand on choisit les priorités, c’est préférable de, d’abord, procéder à l’expansion des cégeps francophones », disait-il mardi en conférence de presse. Le jeudi, sur le parquet de l’Assemblée nationale, il en rajoutait : « Est-ce que c’est mieux d’agrandir des cégeps francophones avant d’agrandir des cégeps anglophones ? Nous, à la CAQ, on pense que oui », disait-il en réponse à une question de la cheffe libérale Dominique Anglade.

Bref, le premier ministre dit que les établissements des anglophones passeront après les projets d’agrandissement des francophones.

Il y a un mot pour décrire ça, ça s’appelle de la discrimination.

Comme M. Legault aime les définitions du Petit Robert, on va s’y référer. La discrimination est un « traitement inégalitaire et différent appliqué à certaines personnes (notamment en raison de leur origine…) ».

Dans le cas qui nous occupe, même s’il y a des normes très bien établies quant aux projets d’agrandissement et que celui de Dawson avait été jugé conforme et approuvé par deux gouvernements, il devra attendre.

Plus rien de ce qui avait été décidé ne tient, uniquement, semble-t-il, parce que nous sommes à huit mois des élections. Même si cela signifie, de facto, instaurer un régime de gestion des cégeps différent selon la langue.

Le but politique est transparent : faire passer la CAQ pour le parti qui défend les intérêts des francophones et les libéraux pour ceux qui défendent les anglophones.

Comme si ce n’était pas assez, le premier ministre en a rajouté une couche sur le bilinguisme des juges de la Cour du Québec, au lendemain d’un jugement de la Cour supérieure sur le bilinguisme des juges. Le ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, avait décidé qu’il n’était pas nécessaire de nommer des juges bilingues dans le district judiciaire de Saint-Jérôme.

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Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française

La Cour supérieure lui a rappelé le principe de l’indépendance de la magistrature, que c’est la juge en chef de la Cour du Québec qui est responsable des questions de régie interne, pas le ministre de la Justice.

« Le Parti libéral du Québec défend les juges bilingues obligatoires à Saint-Jérôme. Nous, on défend la langue française, qui est la seule langue officielle au Québec », disait le premier ministre à la période des questions.

Mais l’obligation d’avoir des juges bilingues ne vient ni du Parti libéral ni de la Cour du Québec, elle vient de l’article 133 de la Constitution. Un article qui permet aussi aux francophones de se faire juger dans leur langue partout au pays. M. Legault a préféré l’ignorer pour marquer quelques points politiques.

La stratégie de la CAQ est transparente : disqualifier le Parti libéral en le dépeignant comme le « parti des Anglais », ne pas se soucier du PQ, qu’on abandonne comme déjà mort, et affronter Québec solidaire comme seule opposition, ce qui assurera une victoire facile.

Mais les stratégies de division de M. Legault se sont déjà retournées contre lui. On se souviendra qu’aux élections fédérales, il n’avait pu contenir sa hargne contre Justin Trudeau en invitant les Québécois à voter pour les conservateurs, mais sans résultat.

Jouer la politique de la division et remonter les Québécois les uns contre les autres va inévitablement finir par se retourner contre ceux qui tiennent à employer de telles pratiques. Et souvent bien plus tôt que ne le croient ceux qui échafaudent de telles stratégies.