Hydro-Québec est tellement devenue un État dans l’État, chez nous, qu’elle doit aussi penser qu’elle est en droit de faire ce qu’elle veut aux États-Unis.

Mais cette semaine, on a vu un second échec en moins de quatre ans pour faire passer ses lignes de transmission sur le territoire américain. Au Québec, Hydro n’a tout simplement pas l’habitude de se faire dire non, pour le dire poliment. Mais ailleurs, c’est différent.

Et ça risque de remettre en question la volonté du premier ministre François Legault de faire du Québec « la batterie verte du nord-est de l’Amérique ».

Au Québec, la société d’État a toujours pu compter sur le gouvernement, de quelque couleur politique qu’il soit, pour lui donner raison, même quand les tribunaux ou une instance comme le BAPE voulaient changer ses plans.

Quant aux opposants, ils n’avaient aucune chance. Souvenez-vous de la lutte de la ville de Saint-Adolphe-d’Howard – et de sa mairesse de l’époque, l’infatigable Lisette Lapointe – qui contestait la décision de faire passer une ligne de transmission sur le haut d’une montagne. À la fin, Hydro-Québec n’en a fait qu’à sa tête.

Ce qui nous amène aux États-Unis, où Hydro-Québec vient de subir un nouveau revers pour faire passer ses lignes de transmission. La « batterie verte » a du mal à se brancher...

D’abord, il y a eu le projet Northern Pass, qui visait à établir une ligne de transmission de plus de 300 km au New Hampshire.

Dès l’annonce en 2011, et malgré les promesses de retombées économiques du projet – alors estimé à 1,6 milliard US – des citoyens se sont mobilisés. Ils n’en avaient pas tant contre l’électricité du Québec que contre les inévitables pylônes qui soutiennent la ligne de haute tension.

Des pylônes qui pouvaient atteindre jusqu’à 40 m dans certains secteurs et qui allaient, selon les opposants, détruire à jamais le paysage des montagnes Blanches.

Deux nouveaux tracés furent proposés en 2013 puis en 2015, notamment, dans une ultime tentative de faire accepter le projet, près de 100 km où les lignes seraient enfouies. Mais sans convaincre les opposants.

En 2016, le projet fut soumis au Site Evaluation Committee du New Hampshire, un peu l’équivalent de notre BAPE. Le 1er février 2018, il votait à l’unanimité contre Northern Pass, estimant que les inconvénients pour l’environnement et le tourisme l’emportaient sur les bénéfices.

Hydro-Québec et son partenaire américain ont contesté la décision devant les tribunaux, mais, en juillet 2019, la Cour suprême du New Hampshire à l’unanimité donnait raison aux opposants et le projet a été abandonné.

On est en train d’assister à une répétition de ce scénario dans le Maine, où les opposants à une nouvelle ligne de transmission de 233 km ont réussi à soumettre la question à un référendum. Mardi, près de 60 % des votants ont rejeté le projet.

Hydro-Québec a déjà indiqué qu’elle et son partenaire américain iraient contester cette décision en cour, affirmant qu’ils avaient déjà commencé les travaux et qu’ils avaient obtenu tous les permis requis.

Le problème, c’est qu’en plus du retard et des coûts que cet appel entraîne, la victoire devant les tribunaux du Maine est tout aussi incertaine qu’au New Hampshire.

Et il y a quand même un certain problème d’image pour Hydro-Québec de plaider qu’un référendum n’a pas de valeur. Et on rappellera que le premier ministre Legault a déjà rejeté un projet de pipeline pour manque d’« acceptabilité sociale ».

Hydro-Québec n’a pas tort de dire que la campagne référendaire a donné lieu à toutes sortes de désinformation et que des sociétés gazières, craignant de perdre leur marché, ont financé la campagne des opposants.

Mais le résultat est le même. Dans le Maine comme au New Hampshire, on a vu la victoire d’une coalition hétéroclite formée d’écologistes, de chasseurs de chevreuils, de propriétaires de chalets et de pêcheurs à la ligne qui ne voulaient pas avoir de pylônes dans leur paysage.

Évidemment, la solution serait d’enfouir les lignes de transmission, mais cela coûte plus cher et rendrait le projet moins rentable ou même plus rentable du tout, selon ses promoteurs.

Le problème, c’est qu’un peu plus à l’ouest, on est en train de construire une ligne de transmission de plus de 500 km entre Montréal et New York, entièrement en souterrain avec un câble sous le lac Champlain et l’Hudson.

Cela fait très longtemps que le Québec veut vendre son électricité à New York. Mais ce n’est devenu une possibilité réelle qu’une fois que le projet avec des câbles souterrains et sous-marins a pu être mis de l’avant.

Mettez-vous maintenant à la place des citoyens du Maine et du New Hampshire qui voient l’État de New York avoir droit au nec plus ultra de la technologie alors qu’ils devront se contenter de pylônes détruisant le paysage. C’est comme si on leur disait : « À New York, ils sont riches et on va enfouir la ligne, les autres auront des pylônes. » Et, pendant ce temps-là, la « batterie verte » n’est toujours pas branchée...