Les campagnes électorales changent les choses, même si on risque fort de se retrouver au même point, c’est-à-dire avec un gouvernement libéral minoritaire. Mais, au moins, cette campagne dont les électeurs ne voulaient pas a réussi à servir de révélateur.

Justin Trudeau, même si les sondages actuels disent qu’il pourrait obtenir un nouveau mandat minoritaire, va sortir affaibli de cette campagne.

Non seulement il n’a jamais réussi à répondre à la question « pourquoi avez-vous déclenché ces élections ? », mais le prétexte qu’il avait utilisé – comment reconstruire en mieux ? – n’a pas été vraiment discuté pendant la campagne, qui passera plutôt à l’histoire pour avoir été déclenchée pendant une très sérieuse quatrième vague de la pandémie.

D’autant qu’un éventuel troisième mandat, surtout s’il est minoritaire, s’annonce compliqué pour le chef libéral. Il aura encore fait des promesses qui seront coûteuses alors que le temps sera nécessairement au contrôle des dépenses.

En plus, inévitablement lors d’un troisième mandat, on va commencer à parler de course au leadership, d’abord très discrètement, puis plus ouvertement. Et si personne ne va montrer la porte à M. Trudeau, il y aura certainement des libéraux qui vont souhaiter son départ, ce qui mine nécessairement le leadership de tout premier ministre.

En fait, ce qui aura le plus aidé M. Trudeau dans cette campagne, ç’a été la faiblesse de ses adversaires, à commencer par Erin O’Toole.

Le chef conservateur s’est révélé terriblement ordinaire. Incapable même d’utiliser l’appui de François Legault, le premier ministre provincial le plus populaire au Canada.

En fait, M. O’Toole a réussi à montrer que, malgré ses meilleurs efforts pour recentrer son parti, son aile droite avait toujours du mal à s’y rallier, que ce soit sur le contrôle des armes à feu, sur l’aide médicale à mourir ou sur la réduction des gaz à effet de serre.

Plusieurs fois dans la campagne, il a dû se contredire, tant sur le contrôle des armes à feu que sur le prix du carbone, qui est passé d’un engagement électoral à une simple option.

Et pour couronner le tout, dans la dernière semaine de la campagne électorale, le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, qui a été considéré pendant un temps comme le leader idéologique du mouvement conservateur, devait admettre qu’il avait eu tout faux dans sa gestion de la crise sanitaire.

M. O’Toole, qui, en bon conservateur, avait vanté la gestion de crise en Alberta, a donc été contraint de passer les derniers jours de la campagne à éviter les questions sur le sujet en évitant même de prononcer le nom de M. Kenney.

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a connu une bonne campagne, l’expérience aidant, il était beaucoup plus à l’aise qu’il y a deux ans. Il a aussi été porté par un influx d’appuis venant du Parti vert en proie à une crise interne.

Mais la plateforme électorale du parti, longtemps une de ses forces, comprenait plus de généralités que de ces propositions qui exigeaient des autres partis qu’ils prennent position sur les sujets que le NPD mettait de l’avant.

Évidemment, le résultat en nombre de sièges est imprévisible pour le NPD puisqu’il y a un grand nombre de courses à trois, mais il est probable qu’il pourra augmenter son contingent à la Chambre des communes.

Quant au Bloc québécois, il a connu une campagne en deux parties. Dès le début de la campagne, le chef Yves-François Blanchet a commis des faux pas qui ont culminé avec sa position sur le troisième lien, qui a aussi eu pour effet de ramener au premier plan son dossier peu reluisant comme ministre de l’Environnement.

Mais sa campagne a pris son envol, quelques minutes après 21 h, le jeudi 9 septembre, quand la modératrice du débat en langue anglaise lui a balancé une question tendancieuse et tordue.

Elle venait de donner à M. Blanchet ce qu’il cherchait depuis le début de la campagne : une question propre à illustrer le fossé qui existe entre le Québec et le reste du Canada, un peu comme le débat sur la « loi 21 », il y a deux ans, lui avait permis de redonner un nouveau souffle à son parti.

Le Bloc, qui se préparait à perdre des sièges, s’est soudain retrouvé sur le chemin d’en conquérir plusieurs. On verra lundi soir si ce mouvement s’est accentué depuis ou s’il s’est résorbé.

Mais, à moins d’une grande surprise lundi soir, le Canada devrait se retrouver avec le même gouvernement minoritaire et un Parlement assez semblable à ce qu’il avait, ce qui signifie un gouvernement – de quelle couleur qu’il soit – plus faible politiquement.

Surtout, un gouvernement qui sera obligé de gouverner à la petite semaine plutôt que de voir loin sur de grands enjeux comme les changements climatiques. Et si ce gouvernement était libéral, les électeurs seraient bien en droit de dire : tout ça pour ça. Comme s’il n’y avait pas déjà assez de cynisme en politique canadienne.