Ça faisait presque 40 ans – depuis René Lévesque et le « beau risque » – qu’un premier ministre du Québec n’avait pas donné une consigne de vote aussi claire dans des élections fédérales. Mais c’est un jeu bien risqué auquel s’est adonné François Legault. Parce que, comme le dit l’adage, il faut se méfier de ce que l’on souhaite.

Ainsi, M. Legault veut un gouvernement minoritaire conservateur, avec le Bloc québécois qui l’appuierait. Dans ce cas-ci, minoritaire veut dire gouvernement faible et qui n’osera pas le défier. Appuyé par le Bloc, qui s’est constitué, sans même qu’on ait à le lui demander, le porte-parole du gouvernement Legault à Ottawa.

Le problème avec ce scénario, c’est qu’il n’y a pas de case qui dit « gouvernement minoritaire » sur le bulletin de vote. L’électeur choisit son député et le reste ne lui appartient plus.

Tous les sondages indiquent actuellement – parce que ça pourrait changer – que le prochain gouvernement sera minoritaire. Mais il n’est pas du tout certain que ce sera celui que souhaite M. Legault.

Avec libéraux et conservateurs au coude-à-coude, tant dans le vote populaire que dans les projections de sièges, tout peut encore arriver, même s’il y a un résultat plus probable que les autres.

La convention constitutionnelle est claire : le premier ministre sortant a le droit d’aller tester la confiance de la Chambre, même s’il a remporté moins de sièges qu’un autre parti. Quand on regarde les prévisions actuelles, il est donc bien possible – et même probable – que Justin Trudeau puisse s’accrocher au pouvoir avec l’appui du NPD.

Ce qui serait, du point de vue de M. Legault, à peu près la pire option : le Parti libéral, qu’il dit centralisateur, qui serait tiré à gauche et vers encore plus de centralisation par le NPD. Comme quoi, il faut toujours se méfier de ce que l’on souhaite.

Évidemment, ce pourrait aussi être un gouvernement conservateur, appuyé par le Bloc québécois. Mais dans les circonstances, avoir la balance du pouvoir ne voudra pas dire grand-chose pour le parti d’Yves-François Blanchet.

Dans les faits, la balance du pouvoir est presque toujours un cadeau empoisonné. Le parti qui la détient n’a qu’une seule arme, soit de voter contre le gouvernement et de précipiter le pays en campagne électorale.

Mais dans le contexte où un gouvernement se serait fait battre essentiellement parce qu’il a déclenché des élections pour rien, d’autres élections anticipées sont pratiquement inconcevables. Et le parti qui les aurait provoquées le payerait très cher.

En bref, le Bloc québécois ne pourra guère faire autrement que de soutenir toutes les initiatives d’un gouvernement conservateur au moins pendant deux ans ou même plus.

Mais il y a d’autres effets pervers d’appeler à voter conservateur au Québec. Parce que la division du vote est telle qu’il suffirait d’un modeste mouvement de voix du Bloc vers les conservateurs pour permettre aux libéraux de se faufiler entre les deux et d’obtenir plus de sièges.

Sans compter que bien des Québécois et plusieurs partisans de la CAQ ont réagi assez négativement à l’idée d’un parti dont plus du tiers des députés sont pro-vie, qui rejette l’idée même des changements climatiques et qui n’est pas chaud à toute forme de contrôle des armes à feu.

D’autre part, rien n’indique que M. O’Toole sera aussi ouvert aux demandes du Québec que semble le croire M. Legault. Il a déjà indiqué qu’il déchirera l’entente de 6 millards de dollars pour les garderies et son cadre financier n’indique que des augmentations modestes des transferts pour la santé. Et M. O’Toole a, lui aussi, des priorités en santé ; dans son cas, la santé mentale.

Enfin, M. Legault a une vision assez passéiste de la centralisation dans la fédération canadienne. Depuis 2004, avec l’entente Martin-Charest sur la santé, la norme, c’est une entente asymétrique donnant plus de pouvoirs au Québec et des transferts inconditionnels. Dans l’entente Trudeau-Legault signée il y a peu, les 6 milliards pour les garderies ne sont assortis d’aucune condition. M. Legault pourrait même s’en servir pour le troisième lien, si ça lui chante.

Alors, pourquoi M. Legault préférerait-il un gouvernement conservateur minoritaire, outre le fait qu’il n’aime vraiment pas Justin Trudeau ? Essentiellement parce qu’il veut un premier ministre fédéral le plus faible possible. Quelqu’un qui ne viendra pas lui mettre des bâtons dans les roues.

Puis, pour en rajouter un tour, M. Legault a convoqué une conférence de presse à la suite du débat des chefs de jeudi soir, où il s’est autoproclamé « chef de la nation québécoise », une nation dont les valeurs sont attaquées.

On a hâte de voir comment le « chef de la nation » réagira si un premier ministre O’Toole décide d’agir à propos de certaines des valeurs conservatrices inscrites à son programme, comme de revoir la péréquation à l’avantage des provinces de l’Ouest ou revenir aux cibles de réduction des gaz à effet de serre de l’ère Harper.