(Ottawa) Justin Trudeau peut-il remporter les prochaines élections fédérales en 2025 ? La réponse à cette question est quasi unanime. C’est à peu près impossible, estiment des experts en sondage et des stratèges libéraux. Même des élus actuels du gouvernement Trudeau reconnaissent en privé que la pente à remonter au cours des 18 prochains mois est devenue très abrupte.

Sans le claironner devant les caméras, on s’attend au pire lors du scrutin prévu en octobre 2025 : une cuisante défaite aux mains du Parti conservateur et l’ascension de Pierre Poilievre au poste de premier ministre.

« Les sondages ne prédisent pas le futur. Je n’ai pas de boule de cristal. Mais il n’y a pas de précédent récent d’un gouvernement aussi impopulaire avec tous les indicateurs au rouge, comme c’est le cas présentement, qui réussit à se faire réélire », affirme sans ambages Philippe J. Fournier, expert en analyse de sondages et créateur des blogues politiques hautement consultés 338Canada et Qc125.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Philippe J. Fournier

Si on se téléporte en octobre 2025 et que l’on voit Justin Trudeau à la télévision qui salue la foule parce qu’il a obtenu un quatrième mandat, ce serait sans précédent dans l’histoire moderne au Canada.

Philippe J. Fournier, expert en analyse de sondages et créateur des blogues politiques 338Canada et Qc125

Les signaux d’alarme sont nombreux. Les Canadiens sont majoritairement insatisfaits du gouvernement libéral, estiment que le Canada s’en va dans la mauvaise direction et jugent aussi que Pierre Poilievre (34 %) serait un bien meilleur premier ministre que Justin Trudeau (20 %), selon la firme de sondage Nanos Research. « En temps normal, le premier ministre sortant jouit d’un avantage à ce chapitre de 5 à 7 points simplement parce qu’il occupe le fauteuil du premier ministre. Mais ce n’est pas le cas en ce moment », souligne le président de cette firme, Nik Nanos.

Pis encore, 85 % des Canadiens affirment qu’un changement de gouvernement s’impose, même si 33 % de ceux qui sont de cet avis avancent qu’il n’y a pas pour le moment d’option de rechange adéquate, selon la firme Abacus Data. Le président de cette firme, David Coletto, rappelle que la soif de changement donne une bonne indication des intentions de vote à venir.

En moyenne, le Parti conservateur obtient 42 % des intentions de vote au pays, contre 25 % au Parti libéral, 19 % au Nouveau Parti démocratique (NPD) et 5 % au Parti vert, selon le site 338Canada. Au Québec, le Bloc québécois arrive en tête avec 31 %, tandis que le Parti libéral récolte 26 %, mais se fait chauffer par le Parti conservateur, qui recueille 24 %. Le NPD doit se contenter de 13 % dans la Belle Province.

De tels appuis, s’ils devaient se maintenir, se traduiraient le jour du scrutin par une victoire éclatante des troupes de Pierre Poilievre.

Je pense que pour l’instant, le meilleur scénario pour Justin Trudeau, c’est une défaite honorable. C’est de perdre, mais de laisser un caucus libéral de bonne taille pour entreprendre la reconstruction.

Philippe J. Fournier, expert en analyse de sondages et créateur des blogues politiques 338Canada et Qc125

« Il faut être aveugle pour ne pas constater que les choses ne vont pas bien à l’heure actuelle pour les libéraux. Mais est-ce que tout est perdu d’avance ? Non, parce qu’une campagne électorale, ça compte », signale Greg MacEachern, stratège libéral à Ottawa depuis deux décennies, rappelant les talents du chef libéral. « Les enjeux dominants d’aujourd’hui ne seront pas forcément les enjeux dominants de la prochaine campagne. »

Malgré les nombreux coups de sonde défavorables des 10 derniers mois, Justin Trudeau jure qu’il dirigera ses troupes durant la prochaine campagne. Il l’a affirmé avec conviction lors d’une entrevue accordée à La Presse en décembre dernier⁠1. Il l’a réaffirmé sans hésitation durant une entrevue accordée à l’émission Midi info de Radio-Canada à la mi-mars⁠2.

« Je ne pourrais pas être l’homme que je suis et abandonner le combat à ce moment-ci », a-t-il confié à l’animateur Alec Castonguay, soulignant que les Canadiens auront « un choix tellement fondamental à faire sur le genre de pays qu’on veut » au prochain scrutin.

Dans les rangs libéraux, il ne fait aucun doute que Justin Trudeau sera à la barre du parti durant la prochaine bataille. « Oui, je suis persuadé qu’il va être le chef aux prochaines élections », soutient un député libéral de l’Ontario, qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer plus librement. « Mais les chiffres ne sont pas bons. Il ne reste que 12 mois pour renverser la tendance. Ce sera tout un défi. »

En dépit du contexte difficile, il n’existe pas de mouvement bien organisé au sein du Parti libéral pour forcer le départ du chef. Sous le couvert de l’anonymat, une poignée de députés libéraux de l’Ontario ont réclamé un coup de barre en septembre dernier, avant la reprise des travaux parlementaires, pour éviter le naufrage électoral qui se profile à l’horizon. Mais depuis qu’ils ont livré leurs états d’âme au quotidien Toronto Star, ils se sont montrés des plus discrets.

« C’est lui qui va décider. Il l’a dit d’une manière assez claire et assez ouverte. Il y a un grand niveau de loyauté envers lui et c’est tout à son honneur », avance un député libéral du Québec, qui a aussi réclamé l’anonymat afin de pouvoir s’exprimer librement.

1. Lisez l’article « Entrevue à La Presse – Justin Trudeau entend demeurer aux commandes » 2. Écoutez l’entrevue accordée par Justin Trudeau à l’émission Midi info d’ICI Première