Le Club des petits déjeuners a une chance inouïe : celle d’avoir comme ambassadeur nul autre que Bernard Derome. Ce dernier n’a pas hésité à interpeller directement le premier ministre François Legault et certains de ses ministres (Christian Dubé, Chantal Rouleau, Bernard Drainville) afin que l’organisme reçoive plus d’argent.

Résultat : dans son dernier budget, le gouvernement provincial a réservé 25 millions de dollars supplémentaires sur cinq ans pour ce réseau qui est présent dans plus de 500 écoles et qui offre des petits-déjeuners à 79 000 enfants de la province. Avec cette aide gouvernementale, le financement public annuel du gouvernement du Québec passe à 15 millions par année.

« Moi qui ne connais pas la misère, je me dis que ça n’a pas de maudit bon sens que des enfants ne mangent pas le matin, me dit Bernard Derome au cours d’une chaleureuse rencontre dans son condo du quartier Ahuntsic. L’éducation est fondamentale et primordiale, il faut se le redire sans cesse. »

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Bernard Derome

Vous l’aurez compris, pour lui, le Club des petits déjeuners est plus qu’une affaire de ventre creux. « Un enfant qui a le ventre plein est un enfant qui sera plus attentif, qui sera peut-être moins violent, qui aura sans doute moins le goût de décrocher », dit-il.

Gentleman parmi les gentlemen, Bernard Derome refuse de me dire que sa présence a joué un rôle capital dans l’accroissement des subventions. « C’est un travail d’équipe. Il y a des gens qui travaillent fort et qui sont là à temps plein. »

Le Club des petits déjeuners est la nouvelle cause que Bernard Derome appuie après celle de La Maison du Père. C’est à la suggestion de sa conjointe (qu’il appelle affectueusement Lulu) qu’il a offert son aide. Père de trois enfants et grand-père de cinq petits-enfants (il me montre fièrement les photos disposées dans une bibliothèque), il est bouleversé par le cas des enfants défavorisés.

Après avoir été à la tête du Téléjournal de Radio-Canada pendant 32 ans (de 1970 à 1998, puis de 2004 à 2008), Bernard Derome peut mettre de côté ce fameux devoir de réserve et laisser libre cours à ses émotions.

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Bernard Derome

Quand je vois des histoires comme le petit Aylan échoué sur une plage ou la fillette qui a passé des jours dans une auto criblée de balles à Gaza, je fonds. Je me dis que je peux brailler. Et je braille souvent.

Bernard Derome

À 80 ans, cet ancien drop-out (c’est lui qui utilise l’expression) défend aujourd’hui un système d’éducation qui, tout en n’étant pas parfait, « se tient », selon lui. « À chacun son coming out, moi, je ne crains pas de dire que je suis un décrocheur. J’ai quitté le cours classique au grand désespoir de mon père. »

Ce dernier était furieux de voir son fils abandonner ses études. Mais quelques années plus tard, quand il verra le jeune Bernard à la barre du Téléjournal, rendez-vous quotidien télévisuel qui célèbre ces jours-ci son 70anniversaire, il éprouvera une grande fierté. « Quand je repense à ça, je me dis que je l’ai échappé belle », ajoute Bernard Derome.

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Le danger de la vélocité

L’autre sujet qui fait vivement réagir Bernard Derome touche les menaces que certains brandissent au sujet de l’avenir de la télévision et de la radio publiques. Je fais ici allusion à Pierre Poilievre. « Ça n’a aucun bon sens. Ça serait un scandale. Mais ça n’arrivera pas. Il va être obligé de ravaler sa gomme. Je n’y crois pas. »

Bernard Derome ne se gêne pas non plus pour parler des « gaucheries » de la PDG actuelle de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait. « Quand elle a demandé aux employés d’aller marcher dans la rue, je n’en revenais pas. De toute façon, elle ne sera plus là dans six mois. »

Il faut dire que Bernard Derome est intraitable quand il est question de règles d’éthique. Une amie qui a travaillé avec lui m’a dit avant ma rencontre : « Tu vas voir, Bernard est droit ! » Un exemple de cela ? Il était de coutume à Radio-Canada que les têtes d’affiche fassent des publicités. C’était un moyen de faire gonfler les salaires. Un jour, Chevrolet a demandé que Bernard Derome fasse la promotion d’une de ses voitures.

« J’avais annoncé que le corps de Pierre Laporte avait été retrouvé dans le coffre d’une Chevrolet. Tu vois le lien douteux ? On m’a offert 75 000 $ en 1970. C’était énorme, mais je trouvais cela inacceptable. Je suis allé voir mon patron, Marc Thibault, et je lui ai dit que je ne pouvais pas faire ça. J’ai gagné et c’est devenu une norme ensuite. Je me suis fait quelques ennemis. »

Quand on l’amène à parler de la réalité actuelle de ceux qui font de l’information, Bernard Derome évite de juger le travail de ses jeunes collègues, préférant critiquer les exigences de leur époque.

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Bernard Derome

Ce qui est dangereux, c’est la vélocité. Tout va plus vite aujourd’hui. Mais il faut réfléchir avant de faire un geste ou émettre une opinion. La vélocité nuit à l’historicité des choses. C’est ça, le maudit problème. Les journalistes évoluent souvent sur un fil ténu. C’est presque du funambulisme. Ce n’est pas facile pour eux.

Bernard Derome

Le bonheur selon Bernard Derome

Vous vous doutez bien que j’ai profité de cette rencontre avec Bernard Derome pour prendre de ses nouvelles et tenter de savoir à quoi ressemble son quotidien. Mais bon, ce n’est pas facile d’amener l’homme à parler de sa vie privée. J’ai osé lui demander ce qui le rendait heureux aujourd’hui. Le temps s’est suspendu. Puis après quelques secondes…

« Oh là là… C’est une grande question. D’abord d’être en santé et d’avoir la capacité de réaliser des projets. Et bien sûr, l’amour de mes filles, de mes petits-enfants et celui de ma conjointe. »

Bernard Derome a franchi ce qu’il appelle le « 4 fois 20 » en janvier dernier, un multiple dont il se serait bien passé. Il n’a pas voulu avoir une grande fête comme on souhaitait le faire. « On a fait ça avec les enfants et quelques amis proches. »

À 80 ans, Bernard Derome continue d’avoir des journées bien remplies. Il s’est remis à la course après une blessure. Il fait aussi du vélo et du ski alpin. Son implication au sein de l’Institut d’études internationales de l’UQAM et la réalisation de projets de documentaires le gardent bien éveillé. « C’est important pour moi de faire cela, car je continue d’être ignorant. Ça m’oblige à lire et à me documenter. »

Bernard Derome n’est pas souvent retourné à Radio-Canada depuis son départ, de peur d’être vu comme une « belle-mère ». Mais il a quand même visité le nouvel immeuble. « Pour les besoins d’une émission, on m’a demandé de circuler dans la salle de nouvelles. Il y avait des jeunes qui se disaient : “la bébitte, c’est lui” et des plus vieux. Des gens sont venus vers moi et m’ont sauté au cou… C’était très émouvant… Je ne vais pas plus loin. »

Bernard Derome évoque cet instant avec les yeux humides. Des souvenirs refont surface et produisent un certain effet. L’absence du foutu devoir de réserve se charge du reste.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je craque à l’odeur du café. Ma mère faisait une crème au café exceptionnelle ! J’adore la glace au café et mon café du matin, fort et noir est un sine qua non après mes fruits et mes céréales.

Des gens, morts ou vivants, que j’aimerais réunir autour de ma table : Winston Churchill, Hô Chi Minh et Simone Veil.

Le dernier livre que j’ai lu : Godin, de Jonathan Livernois. Gérald Godin a été mon chef recherchiste à l’émission Aujourd’hui. Je redécouvre la droiture intellectuelle du journaliste et de l’homme politique.

Un évènement historique que j’aurais aimé vivre : La libération de Paris, le 24 août 1944, avec l’arrivée des blindés du général Leclerc et, le lendemain, l’entrée triomphale du général de Gaulle et son premier discours de victoire.

Qui est Bernard Derome ?

  • En 1963, il fait ses débuts à l’émission Surboum et copains à CJBR Télémédia, poste affilié à Radio-Canada, à Rimouski.
  • Journaliste à l’émission Présent (1966) et à l’émission Aujourd’hui (1967)
  • Chef d’antenne du Téléjournal, de 1970 à 1998 et de 2004 à 2008
  • Lauréat du prix Guy-Mauffette (Prix du Québec) en 2016
  • Prix hommage Judith-Jasmin en 2022
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