Qui écrit des lettres de nos jours ? Qui prend le temps de coucher assez de mots sur papier, ou sur écran, pour exprimer ses états d’âme à ses proches ? Qui envoie encore des enveloppes timbrées ? Des cartes postales ? Des cartes de Noël ? Qui, en somme, n’a pas cédé aux chants des sirènes des médias sociaux, des clips et des selfies ?

Il fut un temps où les lettres de guerre étaient monnaie courante. On en faisait même des bouquins. Sans blague ! Effectuez une recherche sur le site de BAnQ et vous trouverez beaucoup d’ouvrages à emprunter.

Comme les reportages médiatiques, les lettres de guerre, qu’elles soient écrites par des soldats, des civils, des politiciens ou des travailleurs humanitaires, restent aujourd’hui de précieux témoignages de l’histoire en marche. Même si cette histoire, observerez-vous avec justesse, n’est pas belle à voir ou à entendre.

N’empêche qu’il nous apparaît important d’en garder des traces à verser à la mémoire de l’humanité. Et c’est encore mieux si les sources sont très variées.

En cela, le travail de la journaliste du quotidien Le Devoir Magdaline Boutros est remarquable d’authenticité et de chaleur, de colère et d’espoir, d’amour et de haine, de silence, d’avenir et de dévastation.

Même quand le style demeure des plus simples. Car ce ne sont pas tous, ça se voit, ça s’entend, de grandes plumes. Mais chacun des auteurs invités est porté, inspiré, par son histoire, sa réalité, son environnement.

Comment ne pas craquer quand un père écrit à sa fille : « La guerre m’a fait cadeau de toi » ? Comment ne pas être d’accord lorsqu’une jeune femme engagée à sortir des enfants ukrainiens des griffes russes écrit à son fiancé parti se battre : « Nous sommes des combattants sur des fronts différents » ? Comment ne pas avoir le cœur en charpie quand une femme écrit à son amie américaine que « les fantômes des citoyens assassinés pleurent à la vue de leurs maisons brûlées et détruites » ?

Sans surprise, certaines lettres sont très dures, haineuses envers l’ennemi russe et font douter que la réconciliation soit pour demain. Certains des auteurs écrivent même le nom « russie » sans majuscule, dépités du comportement de ce géant voisin.

Neuf lettres. Neuf témoignages. Neuf visions. La guerre de monsieur et madame Tout-le-Monde est ici condensée en un recueil poignant. Ces mots contre les bombes, le meurtre, le viol, la haine ont leur raison d’être.

Extrait

« La guerre, c’est terrible, ce n’est pas le romantique qu’on trouve dans les discours de Churchill, dans les textes de Remarque ou dans les chansons de militaires britanniques à Dunkerque. La guerre, c’est les pieds écorchés par les bottes, l’absence d’eau, la vie dans les tranchées sous les bombardements. La guerre signifie le besoin de tuer. Mais on ne doit pas sombrer dans la honte. »

Ivan Baidak, expert en cybersécurité contraint à l’exil, dans sa Lettre sans destinataire

Qui est Magdaline Boutros ?

Journaliste depuis une vingtaine d’années, Magdaline Boutros a entre autres travaillé à La Presse Canadienne avant de se joindre au Devoir en 2018. Grande voyageuse et intéressée par les enjeux de société, elle a réalisé des reportages dans de nombreux pays, dont l’Ukraine. En 2021, sa collègue Améli Pineda et elle ont été nommées journalistes de l’année au Concours canadien de journalisme pour leurs reportages sur la violence conjugale, un fléau qui s’est intensifié durant la pandémie de COVID-19.

Lettres d’Ukraine – Récits intimes d’un pays en guerre

Lettres d’Ukraine – Récits intimes d’un pays en guerre

Somme Toute / Le Devoir

144 pages

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