Le photographe Marc Montplaisir se passionne depuis des années pour les ambrotypes, des photos produites avec un procédé photographique complexe datant du XIXsiècle qu’il utilise parfois pour faire de singuliers portraits de personnalités connues.

C’est donc avec enthousiasme qu’il a découvert à la fin de 2022 une série de portraits présumés de Londoniens qui avaient échappé à son attention.

« J’ai été confondu pendant 10 minutes avant de me rendre compte que c’était fait avec Midjourney », souligne le professionnel en évoquant un populaire programme d’intelligence artificielle permettant de générer des photos à partir de directives écrites.

IMAGE GÉNÉRÉE PAR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Cette image, générée par l’intelligence artificielle, fait partie d’une série de portraits présumés de Londoniens diffusés en 2022.

« J’étais à moitié époustouflé, à moitié terrorisé », note M. Montplaisir, qui a lui-même expérimenté par la suite le programme pour faire ses propres ambrotypes « artificiels ».

Il a notamment fait produire une série de portraits montrant des danseuses de l’opéra de Paris à l’occasion de l’inauguration de la tour Eiffel qui sont criants de vérité.

M. Montplaisir, qui fait de la photo publicitaire, s’est aussi exercé à générer avec l’intelligence artificielle des images léchées, notamment un flamboyant jeune couple de voyageurs émergeant d’un avion.

  • À l’aide du programme d’intelligence artificielle Midjourney, Marc Montplaisir a produit des portraits montrant des danseuses de l’opéra de Paris lors de l’inauguration de la tour Eiffel.

    IMAGE GÉNÉRÉE PAR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

    À l’aide du programme d’intelligence artificielle Midjourney, Marc Montplaisir a produit des portraits montrant des danseuses de l’opéra de Paris lors de l’inauguration de la tour Eiffel.

  • À l’aide du programme d’intelligence artificielle Midjourney, Marc Montplaisir a produit des portraits montrant des danseuses de l’opéra de Paris lors de l’inauguration de la tour Eiffel.

    IMAGE GÉNÉRÉE PAR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

    À l’aide du programme d’intelligence artificielle Midjourney, Marc Montplaisir a produit des portraits montrant des danseuses de l’opéra de Paris lors de l’inauguration de la tour Eiffel.

  • Il a aussi généré, toujours avec l’intelligence artificielle, une image léchée d’un couple de voyageurs émergeant d’un avion.

    IMAGE GÉNÉRÉE PAR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

    Il a aussi généré, toujours avec l’intelligence artificielle, une image léchée d’un couple de voyageurs émergeant d’un avion.

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Des résultats là encore comparables à ceux qu’il pourrait obtenir en réalisant une vraie séance de photographie, autrement plus coûteuse, avec des mannequins et le personnel de soutien requis.

Les agences de publicité sont partagées quant à l’opportunité d’utiliser la technologie, indique M. Montplaisir, qui trouve « très anxiogène » de voir que l’intelligence artificielle pourrait le priver d’une partie de son gagne-pain.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Marc Montplaisir, photographe

Tout ça devient très confondant.

Marc Montplaisir, photographe

Le néophyte aura encore plus de mal à voir clair dans le déluge annoncé d’images de toute nature, ce qui risque d’avoir des conséquences importantes sur la manière dont les gens s’informent et construisent leur vision du monde.

Serge Cabana, chargé de cours en communications rattaché à l’Université de Sherbrooke, note que « plus personne ne pourra à l’avenir regarder une photo sans se demander si elle est vraie ou fabriquée ».

La même dynamique risque aussi de s’appliquer aux enregistrements audio et même aux vidéos à mesure que la technologie se raffine, un processus déjà bien avancé.

PHOTO FOURNIE PAR SERGE CABANA

Serge Cabana, chargé de cours en communications rattaché à l’Université de Sherbrooke

C’est un repère collectif important qui se perd. Et quand on perd nos repères collectifs, on perd du même coup notre capacité à se parler.

Serge Cabana, chargé de cours en communications rattaché à l’Université de Sherbrooke

M. Cabana explore plus largement le problème dans un ouvrage paru en 2022 intitulé Qui me dira la vérité ?.

Une longue érosion

Les interrogations relatives à la « post-vérité » ou « l’érosion de la vérité » – un terme mis de l’avant notamment par la RAND Corporation dans une longue étude parue en 2018 – ne datent pas d’hier.

L’organisation s’alarmait alors d’un glissement dans les discours politiques et civiques favorisant « l’opinion et les attitudes personnelles » plutôt que l’analyse « de faits et de données ».

Dans un ouvrage paru en 2019 intitulé The Death of Truth (La mort de la vérité), l’auteure Michiko Kakutani, ex-critique littéraire du New York Times, relatait dans cette veine des commentaires de l’ex-président de la Chambre des représentants Newt Gingrich, qui contestait l’idée que la criminalité était en baisse au pays malgré des statistiques claires à ce sujet.

« À titre de candidat politique, je préfère me baser sur ce que les gens ressentent et je vais vous laisser vous débrouiller avec les théoriciens », avait déclaré le politicien républicain pour souligner son mépris des chiffres.

Mme Kakutani identifiait dans son ouvrage le postmodernisme comme l’une des causes originelles importantes de cette évolution.

En affirmant que la connaissance était « filtrée à travers le prisme de la classe, de la race, du genre et d’autres variables », les tenants de cette approche ont rejeté la possibilité d’une réalité objective en lui substituant l’idée de subjectivité.

« La postmodernité a mis 50 ans à pénétrer la conscience collective », remarque Serge Cabana, qui voit son effet dans la perte d’autorité d’institutions traditionnellement centrales comme les médias et les universités.

« Aujourd’hui, tout le monde a le droit à son opinion. L’avis d’un quidam dans la rue qui parle de cosmologie est presque aussi important que celui de Hubert Reeves », ironise-t-il.

Les réseaux sociaux, qui facilitent la diffusion d’informations ou d’opinions par n’importe qui disposant d’un accès à l’internet, ont joué un rôle « d’accélérateur » dans le processus.

Des plateformes comme Facebook, X ou TikTok ont permis à des utilisateurs aux idées similaires de se retrouver en ligne et de former des communautés qui renforcent leurs convictions au sein de « silos d’information » où les voix contradictoires sont rapidement évacuées.

La production des médias traditionnels, affaiblis par les mutations du marché publicitaire, peine à parvenir à une fraction importante d’internautes qui prétendent trouver leurs informations en ligne sur des sites d’origine incertaine.

Les scientifiques n’échappent pas non plus à cette crise de confiance.

Les critiques adressées aux chercheurs en santé publique durant la pandémie de COVID-19 en raison de leurs recommandations changeantes montrent que nombre de personnes ne comprennent pas comment la connaissance scientifique s’établit et progresse, relève Lilian Negura, professeur à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa.

« La science n’est pas une religion », note le chercheur, qui s’alarme de constater que les gens sont de moins en moins placés socialement devant des opinions différentes.