Avec leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’actrice et autrice Éliane Gagnon.

À l’ère où l’on « ne peut plus rien dire », je ne suis pas responsable de ce que les gens peuvent me dire, mais je suis responsable de ma réception et de ma réponse à leurs propos. Ça, oui. C’est parfois dur à entendre, parfois flatteur (comme un baume sur le cœur) et, d’autres fois, c’est carrément faux. C’est à moi, et personne d’autre, de croire ou pas ce qu’on me dit.

Mon psy m’a dit une fois, lors d’une séance où j’étais bien affectée par les perceptions et les commentaires des gens à mon propos : « Si quelqu’un te traite d’éléphant rose, vas-tu le croire ? » Et moi de répondre spontanément : « Ben non. Je ne suis pas un éléphant rose. » J’aime bien les éléphants roses, mais je ne suis pas ça. Si tu me dis que je suis ceci ou cela (positif ou négatif), je peux l’accepter ou le rejeter. Je suis responsable de ce que je crois. Ça a l’air si simple, dit comme ça, n’est-ce pas ?

Très longtemps, trop longtemps, j’ai cru à un grand mensonge : « Je ne suis pas aimable, je suis peut-être même jetable. » La fameuse blessure d’abandon dont nous sommes une maudite belle et attachante gang de ma génération à porter… Ça vous sonne une cloche ? Vous savez, la blessure qui nous empêche de nous aimer pour qui nous sommes réellement, qui nous incite à « faire, faire, faire » pour sentir que nous sommes dignes d’être aimés ? Cette plaie qui nous a enlevé ce qu’on a de plus précieux : l’estime personnelle. Je dis « nous » pour nous rappeler que nous ne sommes pas seuls. C’est important de ne pas l’oublier.

Est-ce que ça se guérit, cette blessure-là ? Est-ce que du moment où nous en prenons conscience, elle s’efface ? Non. Ça ne se dissout pas dans l’eau de Javel non plus. C’est ben, ben tenace comme blessure, comme une maudite tache d’huile qui ne partira jamais, en fait.

Il faut jeter le morceau de linge pour s’en débarrasser. Le problème, c’est que nous ne pouvons pas nous jeter nous-mêmes. Remarquez, bien des gens se jettent et s’abandonnent tous les jours de leur vie en oubliant leurs rêves, en mettant les besoins de tout le monde avant les leurs, en donnant, alors que la coupe est loin d’être pleine, pour ensuite se sentir frustrés et malheureux.

Il faut… du verbe « falloir ». Même s’il rime avec responsabilité, j’essaye consciemment de le rayer de mon vocabulaire pour la simple et bonne raison qu’il ne faut rien. Et mon intention en parlant de responsabilité n’est pas de dire au monde quoi faire, mais plutôt de dire à quel point ça peut changer notre perspective. Je choisis, je décide, je souhaite, j’ai envie de… c’est moins autoritaire. D’ailleurs, je ne sais pas pour vous, mais n’essayez pas de m’obliger de penser d’une manière ou d’adhérer à quoi que ce soit sans mon consentement ! Mais… pas plus folle qu’une autre, si je vois que votre recette a l’air de fonctionner, ça se peut que je vous demande les ingrédients.

Au cours de mon cheminement personnel, j’ai appris deux choses essentielles à mon évolution que j’ai le désir sincère de partager. Premièrement, donc, personne ne me met des pensées dans la tête ; je suis la seule qui a ce pouvoir. Évidemment, nous pouvons être influencés par le monde qui nous entoure, par des comportements toxiques de notre entourage, de notre famille, voire de nous-mêmes, je ne dis pas le contraire. Mais dans le très concret, à moins d’un lavage de cerveau sectaire et louche, personne ne peut nous mettre des pensées dans la boîte à poux.

Deuxièmement, peu importe notre origine, notre histoire, notre parcours, nous avons tous un rôle à jouer, une mission « pas impossible » sur Terre. Elle est peut-être très bien cachée, peut-être sous plusieurs taches d’huile, de crasse très tenace. Or, quand nous la trouvons, même si la vie ne devient pas parfaite, elle est soudainement peut-être un peu plus facile à chérir. Nous trouvons enfin un sens à la souffrance vécue, qui peut se transformer en raison de vivre ou en legs à nos enfants. Je ne parle pas ici de bien matériel, plutôt d’énergie, de sagesse, d’expérience et de savoir.

C’est une journée à la fois que nous pouvons « essayer » de faire un peu mieux que la veille. Que nous pouvons voir quand nous agissons ou réagissons à partir d’où ça fait mal, où c’est taché, abîmé, égratigné. Tandis que nous devenons des citoyens responsables en apprenant à laver notre linge tout seuls ou en essayant une nouvelle recette, le plus important, c’est de réaliser que nous avons les moyens de le faire en observant nos pensées et les émotions qu’elles nous font vivre.

Notre responsabilité, même si ce mot peut faire suer, c’est d’accepter de nous regarder aller.

Une laveuse brisée, ça se répare. Une recette manquée, ça se recommence. Un cœur brisé, c’est moins évident à comprendre. Mais en aimant ce cœur, en prenant conscience de ce qui fait mal, et en faisant les efforts pour le guérir, nous devenons comme un aimant qui attire le bon, le doux, le divin même. En aimant la vie et ce qui nous arrive, même certaines épreuves qui peuvent nous donner l’impression d’être brisés à tout jamais – ce qui peut nous faire perdre confiance en l’humanité –, la vie finit par nous le rendre. Toujours.

La machine à laver, à spin, ça brasse tout. De nos croyances limitantes jusqu’à nos perceptions dévalorisantes en passant par les regrets du passé. Il faut juste accepter que c’est à nous de lancer le cycle. Que c’est à nous de croire ce que nous voulons croire.

Croire. C’est choisir de voir un monde meilleur.

Ce n’est pas si compliqué que ça.

Qui est Éliane Gagnon ?

  • Née à Montréal en 1985, Éliane Gagnon est actrice et autrice.
  • On l’a vue à la télévision dans Ramdam, à partir de 2004, puis dans des émissions comme Mémoires vives ou Féminin/féminin.
  • Au cinéma, elle a tenu des rôles notamment dans Louis Cyr : l’homme le plus fort du monde.
  • En 2017, elle a fondé Soberlab, une plateforme numérique qui fait la promotion de la sobriété. Deux ans plus tard, elle a publié un premier récit d’autofiction, Carnets de fuite, dans lequel elle aborde son relèvement d’un trouble de dépendance et son cheminement vers la sobriété.
Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion