« Ce qu’il veut, c’est nous écœurer », déplorent des locataires qui devaient être relogés temporairement

Devant le Tribunal administratif du logement, Henry Zavriyev s’était engagé à leur payer un logement temporaire d’ici la fin des travaux dans leur immeuble. Ils l’ont cru. Après quatre déménagements en trois mois, Mathieu Valade et Jean-François Gagnon déchantent. Et dénoncent les promesses brisées du spéculateur immobilier.

Par la voix d’un porte-parole, Henry Zavriyev affirme de son côté faire le nécessaire pour accommoder ses locataires.

En décembre dernier, MM. Valade et Gagnon avaient eu l’impression d’avoir remporté une victoire contre l’une des entreprises du promoteur immobilier. Poursuivie devant le Tribunal administratif du logement (TAL), Gestion Roxbury Capitale avait accepté, in extremis, de leur payer un logement temporaire en attendant la fin des rénovations de l’immeuble du 4790, rue Sainte-Catherine Est.

Ce jour-là, ils criaient victoire. M. Zavriyev s’était engagé à payer une chambre d’hôtel avec cuisinette à MM. Valade et Gagnon, puis à verser 1200 $ par mois pour payer le coût d’un logement temporaire. Les deux colocataires devaient retrouver leur appartement d’origine une fois les rénovations terminées.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Mathieu Valade et Jean-François Gagnon, en décembre dernier, devant le 4790, rue Sainte-Catherine Est

À la même époque, La Presse avait documenté le cas du 4790, rue Sainte-Catherine Est, un bâtiment acheté en août par Gestion Roxbury Capitale, qui hébergeait une clientèle largement vulnérable. L’immeuble de 29 logements avait été la proie des flammes en septembre, puis de plusieurs inondations majeures. MM. Valade et Gagnon habitaient dans un logement dont les murs étaient couverts de moisissures. L’air y était irrespirable et dangereux, confirmaient les analyses réalisées par une firme spécialisée.

Le soir même du jugement du TAL, les deux hommes se sont donc dirigés vers l’hôtel Saint-Laurent, que le personnel de M. Zavriyev leur avait indiqué. « On arrive avec notre stock. Ben, sais-tu quoi ? Il a fallu revirer de bord ! », lance Mathieu Valade. Les deux hommes auraient dû avoir en main la carte de crédit utilisée pour garantir la location de la chambre, ce qu’ils n’avaient évidemment pas. « Donc on est retournés dans notre appart avec des moisissures », résume Jean-François Gagnon.

« Comme la réservation avait été effectuée par Leyad [l’une des entreprises de M. Zavriyev], en l’absence de ces pièces justificatives, MM. Valade et Gagnon se sont vu refuser l’accès à la chambre », confirme Henry Zavriyev.

À noter que cette information ne nous a pas été rapportée au moment de la réservation ni au moment où MM. Valade et Gagnon se sont présentés à la réception de l’hôtel. Dans le cas contraire, nous aurions pu aisément agir et assurer l’accès à la chambre d’hôtel comme prévu.

Henry Zavriyev

Le lendemain, on les dirige vers un Airbnb, rue Ontario. Ils y demeurent un mois. « Ensuite, on s’est fait dire qu’on allait devoir partir. Parce que personne n’avait payé le loyer. En pleine tempête de neige ! », dit Jean-François Gagnon.

Ils aboutissent finalement dans un trois et demie. Un gestionnaire pour Henry Zavriyev leur indique par texto que cette location sera renouvelée chaque mois.

« Et puis, au cours du deuxième mois sur place, ça cogne à la porte. On se fait demander par le propriétaire : “Mais qu’est-ce que vous faites ici ?” On a dû sortir avec notre stock en catastrophe parce que sinon, il appelait la police. Le deuxième mois n’avait pas été payé. On était, en quelque sorte, des squatteurs », raconte M. Gagnon.

Recherche d’appartement pénible

Au total, les deux hommes ont ainsi déménagé quatre fois depuis le mois de décembre. Soulignons que les deux hommes travaillent tous les deux à temps plein. Or, ces déménagements survenaient souvent la semaine, les obligeant à prendre congé.

Chaque fois, ils chargent leurs effets personnels dans le camion de Jean-François Gagnon, qui se retrouve plein à ras bord. « À chaque fois, c’est loade, déloade. C’est quelque chose ! », dit M. Valade. Ils sont maintenant dans une maison de chambres, rue Ontario. Ils y vivent à deux dans une petite chambre, un matelas gonflable posé à côté du lit.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Jean-François Gagnon et Mathieu Valade, dans la petite chambre qu’ils doivent partager après avoir subi plusieurs déménagements en trois mois

« Les travaux de réfection de l’immeuble, à la suite de l’incendie, ne devaient initialement durer que quelques semaines. À la lumière des informations que nous avions, nous avons donc proposé des solutions d’hébergement temporaires à MM. Valade et Gagnon. Or, les travaux se sont prolongés, pour un ensemble de raisons hors de notre contrôle, indique Henry Zavriyev. Nous travaillons afin de permettre à MM. Valade et Gagnon de vivre dans un logement qui répondra au mieux à leurs besoins, et ce, jusqu’à la fin des travaux. »

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Jean-François Gagnon

Mathieu Valade et Jean-François Gagnon ont bien cherché un logement de leur côté. Dans le contexte d’une crise, cette recherche est très pénible. Mais ils ont surtout peur qu’Henry Zavriyev ne paie jamais le loyer s’ils trouvent un appartement.

Ils ont de la misère à payer des Airbnb pendant quelques semaines. Penses-tu qu’ils vont vraiment payer un loyer ? On ne peut pas compter sur ce 1200 $ là.

Mathieu Valade

« Nous avons toujours respecté nos engagements en ce sens et nous continuerons de le faire », répond Henry Zavriyev.

Au 4790, les deux hommes payaient 640 $ pour un deux et demie.

La situation qu’ils vivent est-elle conforme à l’entente conclue devant le TAL et est-elle acceptable ? « Non », répond simplement l’avocate de Mathieu Valade, Justine Lambert-Boulianne, qui s’abstient de commenter davantage parce que la cause est toujours judiciarisée.

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L’immeuble où logent temporairement Mathieu Valade et Jean-François Gagnon

« M. Zavriyev viole impunément une entente déposée devant un tribunal », s’indigne Annie Lapalme, d’Entraide Logement Hochelaga-Maisonneuve, qui aide les deux hommes depuis le début.

Au TAL en juin

Mathieu Valade et Jean-François Gagnon doivent retourner devant le TAL en juin. Au-delà de l’entente conclue en décembre, ils réclament des dommages et intérêts de 30 000 $ à M. Zavriyev pour tout ce qu’ils ont vécu dans leur logement.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-François Gagnon dans l’appartement qu’il occupait avec Mathieu Valade, au 4790, rue Sainte-Catherine Est

Ils s’inquiètent d’ailleurs des travaux dans leur immeuble d’origine, qui ne semblent pas avancer.

Nous devrons prolonger la durée des travaux en raison de nouvelles exigences non prévues de la Ville de Montréal. Nous mettons actuellement tout en œuvre afin de compléter les travaux dans les meilleurs délais et minimiser les impacts pour les locataires.

Henry Zavriyev

Cet hiver, un nouvel épisode d’inondation est survenu, et l’immeuble a été déclaré inhabitable par les pompiers. Il y a quelques semaines, des militants l’ont également pris pour cible et l’ont aspergé de peinture rose.

PHOTO FOURNIE PAR JEAN-FRANÇOIS GAGNON

En février, le 4790, rue Sainte-Catherine, propriété d’Henry Zavriyev, a été aspergé de peinture par des militants.

Cette semaine, dans un autre dossier, celui de la résidence du Mont-Carmel, M. Zavriyev a retiré les avis d’éviction émis en 2022. Il s’est notamment engagé à fournir aux 57 résidants âgés qui sont restés sur place et qui se sont battus contre ce changement de vocation de leur immeuble les services usuels d’une résidence pour aînés. Tiendra-t-il promesse ?

Mathieu Valade et Jean-François Gagnon en doutent.

« Ce qu’ils veulent, lance Mathieu Valade, c’est nous juste écœurer pour qu’on lâche prise. »

Sept ans de spéculation

2017 

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Cette maison de chambres de la rue Saint-André, qui a été la proie d’un incendie cet hiver, est la première propriété acquise par Henry Zavriyev.

Henry Zavriyev, qui est au début de la vingtaine, achète une maison de chambre dans le quartier Centre-Sud, au coût de 340 000 $. Il la paie en argent comptant.

Novembre 2021 

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Le Château Beaurivage est l’une des trois résidences pour aînés acquises par les entreprises d’Henry Zavriyev.

Achat du Château Beaurivage, une résidence pour aînés de 500 logements sur le boulevard Gouin. Les aînés qui y résident sont invités à partir en 2022, après avoir subi jusqu’à deux déménagements.

Décembre 2021 

Achat de la RPA du Mont-Carmel, qui compte 200 logements. Des avis d’éviction sont remis en 2022 à tous les aînés qui résident sur place, puisque le propriétaire veut changer la vocation de l’immeuble.

Mars 2022 

Achat d’un immeuble du boulevard Deguire, qui compte 77 appartements. Une quinzaine de locataires choisissent de se battre pour garder leur logement.

Mai 2022 

Une enquête du Devoir montre que M. Zavriyev possède un millier de logements à Montréal. En cinq ans, il a réalisé des profits de 13 millions.

Octobre 2022 

PHOTO FRÉDÉRIC MATTE, ARCHIVES LE SOLEIL

Des groupes manifestent en 2022 contre le changement de vocation de la RPA Seigneurie de Salaberry, qui venait d’avoir un avis d’éviction.

Achat de la Seigneurie de Salaberry, une RPA de Québec qui compte une centaine de résidants. Des manifestations sont organisées devant la RPA.

Août 2023 

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

L’immeuble du 4790, rue Sainte-Catherine Est en décembre dernier

Achat du 4790, rue Sainte-Catherine. Dans les mois qui suivent, il y a un incendie et de nombreuses inondations dans l’immeuble. La grande majorité des 29 locataires finissent par partir.

Décembre 2023 

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Muguette Payette fait partie des locataires qu’Henry Zavriyev cherche à évincer de son immeuble de la rue du Fort.

Achat de deux immeubles totalisant 140 logements sur la rue du Fort, au centre-ville de Montréal. L’entreprise d’éviction commence rapidement, mais la résistance des locataires s’organise.

2024 

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Les immeubles du 1180 et 1190, rue du Fort, achetés en décembre par Henry Zavriyev

Une enquête de La Presse montre que M. Zavriyev a réalisé des acquisitions immobilières de 197 millions en sept ans. Il possède au moins 610 logements sur le territoire québécois.