Christian Messier est convaincu d’avoir la bonne solution. Il en fait un cheval de bataille, ralliant à sa cause les divers intervenants canadiens en gestion forestière, les uns après les autres.

De quoi s’agit-il ? De l’équivalent d’un vaccin pour nos forêts. Un vaccin qui permettrait de renforcer nos forêts contre les incendies et autres bouleversements provoqués par les changements climatiques.

Plus précisément, il est persuadé qu’il faut diversifier les espèces d’arbres plantés dans notre forêt boréale et miser sur celles qui sont plus résistantes aux feux, aux nouveaux insectes et aux grands vents qu’apportent les changements climatiques. Bref, un vaccin pour la forêt.

L’homme que j’ai rencontré est une sommité mondiale en écologie forestière. Professeur et chercheur depuis 32 ans à l’Université du Québec (Outaouais et Montréal), notamment, Christian Messier a consacré sa carrière à la recherche fondamentale et appliquée.

Ses travaux lui ont valu une pléthore de reconnaissances locales et internationales, notamment le prix Marie-Victorin, en 2023, l’une des dix catégories des Prix du Québec.

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Christian Messier

Ça fait une quinzaine d’années, les chercheurs, qu’on s’attendait à ces incendies de forêt de l’été dernier, avec le réchauffement graduel. Et on va probablement connaître la même chose cette année, puisque les conditions sont réunies, avec un printemps précoce et des précipitations peu abondantes.

Christian Messier

Les incendies de forêt, pour ceux qui auraient oublié l’odeur et le smog qui ont envahi Montréal et New York, ont ravagé 4,3 millions d’hectares de forêt l’été dernier, l’équivalent de 10 % du couvert forestier québécois. C’est plus que les 20 années précédentes réunies⁠1.

Selon Christian Messier, les conifères qu’on retrouve dans le Nord québécois, notamment les épinettes et leurs résines, sont plus inflammables. Il faut donc diversifier nos forêts pour les rendre plus résistantes.

Les feuillus, entre autres, sont plus résilients aux feux. Certains conifères pourraient aussi faire l’affaire, comme les pins rouges, dont l’écorce est plus épaisse et plus résistante.

Et de façon générale, la biodiversité des espèces est cruciale pour la santé et la productivité des écosystèmes. Christian Messier a été le premier à confirmer ces bienfaits de la diversité à l’échelle du biome forestier, il y a 12 ans, dans une recherche qui a ravi les chercheurs en écologie dans le monde.

Bref, une forêt diversifiée est plus forte, plus productive et mieux adaptée aux risques climatiques. « C’est comme un fonds de retraite qui diversifie ses placements pour réduire le risque », m’explique-t-il.

Pour s’assurer de viser juste, Christian Messier a lancé une recherche pancanadienne pour vérifier les effets concrets d’un changement des pratiques commerciales sur le terrain, dotée d’un financement de 7,5 millions.

Actuellement, la réglementation est faite pour inciter les producteurs à planter dans les zones commerciales les deux mêmes catégories d’arbres qui sont demandées par le marché, essentiellement des épinettes (pour les colombages de 2 X 4) et des pins. Pas davantage.

Sa bataille pour la diversité est partagée par le Forestier en chef du Québec, Louis Pelletier⁠2, mais aussi par l’industrie – qui finance sa recherche – et par le gouvernement fédéral. Seuls les ministères concernés des gouvernements provinciaux hésitent, et notamment celui du Québec.

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Christian Messier en entrevue avec Francis Vailles, dans les locaux de La Presse

Les gouvernements provinciaux sont trop traditionnels, notamment en raison de l’impact d’un changement sur le calcul de la possibilité forestière. La loi est faite comme si les conditions climatiques ne changeaient pas.

Christian Messier

Christian Messier propose donc, en quelque sorte, une « migration assistée des espèces ». Cette diversification fera même partie d’une suggestion du rapport du comité sur l’adaptation aux changements climatiques, m’annonce-t-il, rapport qui sera remis au premier ministre François Legault dans les prochaines semaines.

Le rapport en fera la recommandation, mais précisera que la diversification se fera en respectant la composition naturelle de la forêt.

Oui, mais ces nouvelles espèces arriveront-elles à prendre racine dans notre climat nordique ?

« Le climat s’est tellement réchauffé que c’est maintenant possible. Certains me disent avoir du succès à planter des chênes blancs ou des érables à sucre en Abitibi, ce qui n’était pas possible avant. »

La nature ne parviendra pas elle-même à remplacer rapidement le couvert forestier, dit-il. Par exemple, les peuplements d’érables, avec la dispersion de leurs graines, se déplacent de 1 kilomètre tous les 50 ans. Or, le climat va 500 fois plus vite, dit-il.

Oui, mais cette intervention de l’humain ne risque-t-elle pas de bouleverser les écosystèmes ?

C’est la crainte des opposants, d’où l’importance de la recherche. Mais au bout du compte, « le plus important est de protéger les forêts », où vit 85 % de la biodiversité.

Oui, mais ce changement ne fera-t-il pas perdre du volume de bois commercialisable à l’industrie dans les prochaines années ? Tout à fait, mais l’industrie est prête à s’adapter, à trouver des débouchés pour la nouvelle forêt, soutient M. Messier.

Et après tout, l’industrie a-t-elle le choix, sachant les pertes énormes qu’entraînent les incendies ?

Enfin, un argument financier risque de faire pencher la balance. Selon Christian Messier, le gouvernement fédéral est disposé à financer le reboisement des zones commerciales décimées par les incendies à même le fonds pour le projet de 2 milliards d’arbres. L’une des conditions demandées par le fédéral à Québec : qu’on diversifie les plantations pour rendre nos forêts plus résilientes.

« Je me bats là-dessus tous les jours », me dit-il.

L’enjeu est majeur. Le reboisement des zones clés de la forêt boréale ravagée coûterait quelque 600 millions, six fois plus que la facture annuelle habituelle⁠3.

Christian Messier lutte pour nos forêts. Espérons que son vaccin leur vienne en aide, à long terme, comme ceux qui ont vaincu la pandémie de COVID-19.

1. Lisez le bilan de saison de la SOPFEU 2. Consultez la réflexion du Forestier en chef 3. Lisez l’article « Rapiécer notre forêt brûlée »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je prends deux cafés corsés le matin en lisant les journaux, dont La Presse.

Les gens (morts ou vivants) que j’aimerais réunir à table : Nelson Mandela, pour comprendre comment il a pu pardonner afin d’amorcer la grande réconciliation. Alexander von Humboldt, le père de l’écologie, pour discuter de l’évolution de la science de l’écologie. Le frère Marie-Victorin, pour le voir s’émerveiller devant la beauté des plantes.

Le dernier livre que j’ai lu : Le premier des cinq tomes qui composent Curieuses histoires de plantes du Canada, de Jacques Cayouette et Alain Asselin. Les histoires, savoureuses, font découvrir les gens derrière la découverte des plantes au Canada.

Un évènement historique auquel j’aurais aimé assister : La première rencontre de Christophe Colomb avec les autochtones de l’Amérique. J’aurais aimé convaincre Colomb et son groupe d’avoir plus de respect pour la culture, la connaissance et la sagesse de ces peuples autochtones.

Qui est Christian Messier ?

  • Professeur et chercheur à l’UQO et à l’UQAM en écologie forestière
  • Lauréat du prix Marie-Victorin en 2023 pour sa carrière remarquable en recherche
  • Fait partie des chercheurs en écologie forestière les plus cités dans la littérature scientifique
  • Membre du comité sur l’adaptation aux changements climatiques du Québec
  • Auteur de 285 articles scientifiques révisés par les pairs, 5 livres, 25 chapitres de livres et 65 rapports professionnels
  • Lauréat de nombreux prix d’excellence au Canada et à l’étranger pour ses recherches