« Toutes les révolutions sur la planète Terre partent de quelques hurluberlus qui croient à quelque chose et qui essaient d’entraîner les autres. Mettons que je fais partie des hurluberlus. »

En espadrilles dans la neige, René Cloutier nous fait faire le tour de son terrain de Bromont. Derrière, on aperçoit le mont Brome strié de pistes de ski. Juste à côté se dresse le mont Bernard, recouvert, lui, d’une forêt immaculée. Cette dernière montagne sera toujours spéciale aux yeux de René Cloutier.

Montrer l’exemple

Il y a une dizaine d’années, le président de Ski Bromont, Charles Désourdy, voulait construire des maisons de luxe sur les monts Bernard et Horizon. M. Cloutier fait partie d’une poignée de citoyens qui sont montés au créneau pour préserver les lieux. Ce gestionnaire de portefeuille chez RBC Dominion valeurs mobilières a même pris une année sabbatique pour se consacrer au combat.

Un combat que ses alliés et lui ont fini par gagner.

Mais René Cloutier n’est pas du genre à prôner la conservation uniquement sur les terres des autres.

En 2018, il a décidé de consacrer son propre terrain de 5,54 hectares à Bromont (l’équivalent d’environ huit terrains de soccer) à la conservation. Ce faisant, il renonçait à perpétuité au droit d’y construire une propriété ou d’y couper du bois, par exemple.

Les terres qu’il nous fait maintenant visiter, divisées en trois lots, ont subi le même sort il y a un peu plus d’un an. Sur le premier lot, M. Cloutier a fait ériger une magnifique propriété. Mais sur les deux autres, qui font l’équivalent de près de six terrains de soccer, il a renoncé à tout développement par l’entremise d’un mécanisme appelé « servitude de conservation » (voir texte à l’onglet suivant).

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Sur le premier lot, René Cloutier a fait ériger une magnifique propriété. Mais sur les deux autres, qui font l’équivalent de près de six terrains de soccer, il a renoncé à tout développement.

« Je suis encore chez moi, je peux me promener sur mon terrain. Mais je n’aurais même pas le droit de couper un arbre », illustre-t-il alors qu’un hibou, tout près, fait entendre un hululement.

Un organisme de conservation, Corridor appalachien, a certifié que ces terres ont une haute valeur écologique. Elles abritent notamment un petit milieu humide qui contribue à la qualité de l’eau du lac Bromont et représentent un habitat de choix pour plusieurs espèces en situation précaire dont la chauve-souris cendrée, la petite chauve-souris brune, la pipistrelle de l’Est (une autre chauve-souris) et le monarque.

Pas moins de 35 espèces d’oiseaux fréquentent aussi les lieux, dont 9 sont jugées « prioritaires » par le Service canadien de la faune.

Les projets de René Cloutier concernent des superficies que je qualifierais de modestes, mais qui possèdent une très haute valeur écologique. On est sur des Montérégiennes et quand on peut protéger ça, on saute là-dessus.

Mélanie Lelièvre, directrice générale de Corridor appalachien

L’organisme effectue des visites régulières sur les lieux pour s’assurer que le terrain de M. Cloutier est bel et bien préservé. Un fonds de dotation, propre au terrain, a même été créé pour financer ces vérifications.

Crédits d’impôt

Avec l’interdiction d’y construire quoi que ce soit à perpétuité, la valeur des deux lots protégés par M. Cloutier a évidemment périclité, passant de 810 000 $ à 55 000 $, selon les évaluateurs attitrés au projet. Un reçu de charité équivalant à la différence, soit 755 000 $, a été remis à M. Cloutier grâce à des programmes des gouvernements fédéral et provincial.

« Je vais pouvoir en récupérer à peu près la moitié en impôts. L’autre moitié, je la laisse sur la table », dit M. Cloutier.

On pourrait dire qu’il n’est pas à plaindre et, dans un sens, c’est vrai. M. Cloutier jouit d’une propriété sans voisins immédiats et peut bénéficier dès aujourd’hui de crédits d’impôt sans avoir à la vendre. S’il avait vendu ses lots à leur pleine valeur marchande, il aurait aussi dû payer du gain en capital.

Il reste que ses terrains ont indéniablement perdu de la valeur. Et que si l’État avait voulu les acheter sur le marché pour les protéger, la facture aurait été beaucoup plus élevée pour les contribuables.

Quelles sont les motivations de René Cloutier ?

À ce moment de notre discussion, l’homme s’anime. On sent que le sujet l’interpelle profondément et il en a long à dire.

« Il faut commencer quelque part, il faut arrêter d’attendre après tout le monde, répond-il. C’est une horreur, ce qui est en train de se passer sur la planète, mais je ne suis pas un défaitiste. Je me dis qu’il faut agir. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

René Cloutier et Mélanie Lelièvre, directrice générale de Corridor appalachien

Ce que je fais est un petit pas. Mais si, dans la région, on est 10 personnes à protéger chacune 10 acres, ça va commencer à faire du terrain.

René Cloutier

« Je suis un privilégié de la vie, continue-t-il. J’ai les moyens de le faire, alors je le fais. »

Il parle longuement des « visionnaires » qui ont jadis eu l’idée de préserver de vastes espaces verts comme le parc du Mont-Royal, à Montréal, ou Central Park, à New York.

M. Cloutier rappelle aussi que, particulièrement depuis la pandémie, Bromont et les environs sont pris d’assaut par les citadins. La croissance démographique de la municipalité atteint quatre fois celle de l’ensemble du Québec.

« Protéger le territoire, ce n’est pas s’opposer à la construction, insiste-t-il. Au contraire, on crée une qualité de vie et un pouvoir d’attraction. N’oublions pas que les gens viennent ici pour la nature. On se tirerait une balle dans le pied en développant partout. »

René Cloutier précise qu’il n’est jamais chaud à l’idée de se mettre de l’avant et de parler de lui. « Je suis un gars très low profile, dit-il. Mais s’il y a juste une personne qui lit votre reportage qui fait la même chose, ce sera ça de gagné. »